La Reine Sanglante
assez près pour entendre Stragildo prononcer ces mots :
« Maintenant, Sire, vous pouvez entrer à la Tour de Nesle !… »
« Le roi ! pensa Bigorne en frémissant. Il a prévenu le roi !… Oh ! le misérable ! »
Un instant plus tard, une ombre passa près de Bigorne. C’était Louis.
Le roi avait donné l’ordre à ses hommes de l’attendre et seul il pénétrait dans la Tour.
Stragildo avait disparu dans la direction du pont.
« Bon ! songea Bigorne. Le roi est seul. Buridan est de taille à lui tenir tête. Et puis, il y a Bourrasque et Haudryot. Tâchons de rejoindre ce scélérat. Il faut que d’un seul coup il paie tous ses crimes. »
Et à son tour, passant près de l’encoignure sans y voir les gens du roi, il se prit à courir vers le pont…
*
* *
Marguerite de Bourgogne était montée lentement, comprimant d’une main son sein violemment soulevé par l’émotion. La passion la transportait. Elle avait cette conviction indéracinable que Buridan l’attendait pour se jeter à ses pieds… Elle frissonnait et avec la rapidité de l’imagination elle se voyait présentant Buridan à la cour, après avoir persuadé à Louis que le capitaine Buridan, redoutable chef de rebelles, pouvait et devait devenir le plus ferme soutien de son trône…
Comme elle songeait ainsi, échafaudant des rêves impossibles, elle entra et vit Buridan qui, profondément, s’inclinait devant elle.
Une seconde, Marguerite s’arrêta.
Puis un soupir gonfla son sein, elle repoussa légèrement la porte derrière elle et s’avança. Elle s’arrêta à un pas de Buridan qui, s’étant redressé, la regardait fixement avec une sorte de tristesse.
« Eh bien, Buridan, dit-elle d’une voix basse qui tremblait légèrement, mais qui était douce comme la plus douce des mélodies, tu peux maintenant mesurer ta puissance, le magique pouvoir que tu exerces sur Marguerite. Toi, qui m’as bafouée, insultée, toi qui as croisé le fer contre le roi, toi rebelle, condamné à mort, la tête mise à prix, toi !… oui, il a suffi que tu écrives à la reine que tu l’attendais, et la reine est venue… La reine ?… Non, Buridan !… Marguerite ! La femme qui a pu te dire ce qu’elle t’a dit ici un soir, et qui est prête à le répéter… Et toi, Buridan, qu’as-tu à me dire ?… Tu te tais ?… »
Oui, Buridan se taisait, déconcerté, affolé presque par cette attitude de la reine. Il était venu pour se battre et vaincre.
« Madame, dit-il enfin avec effort, c’est sans doute un grand malheur dans ma vie que la reine ait pu concevoir les pensées que, pour la deuxième fois, elle m’exprime. Il est vrai que je vous ai écrit sur un ton qui pouvait laisser supposer que, revenu à d’autres idées, j’acceptais enfin les éblouissantes propositions dont vous m’avez honoré. C’était un subterfuge, madame, indigne de moi. Mais il s’agissait de la vie d’un homme, et pour sauver cet homme, j’étais décidé à tout… »
Un sourire amer crispa les lèvres de Marguerite.
Dévorant sa rage, elle demanda :
« Et que puis-je donc pour cet homme auquel vous vous intéressez ?
– Un condamné, madame, ou plutôt un accusé ! Vous pouvez obtenir sa grâce du roi. Il suffira que votre générosité fasse appel à la justice de votre royal époux, et cet homme sera sauvé.
– Qui est cet homme ? demanda Marguerite.
– Le père de Myrtille, répondit simplement Buridan.
– Enguerrand de Marigny ! Quoi, c’est pour me demander la grâce de Marigny que vous avez voulu me voir ! Quoi ! c’est vous qui voulez sauver Marigny, qui vous a poursuivi de sa haine, que vous avez insulté, frappé ! Voilà du nouveau ! Buridan travaillant au salut de Marigny ! »
Quelque chose comme un soupir d’atroce amertume et de désespoir se fit entendre à quelques pas des acteurs qui jouaient cette scène terrible.
Mais ni Buridan ni Marguerite ne recueillirent le faible bruit de ce gémissement.
« Misérable ! éclata la reine livide. Ah ! le misérable, qui me reproche ma première faute et s’en fait une arme contre moi ! Je ne sais comment tu me tueras, démon, mais je prévois que je mourrai par toi ! Déjà, mes pressentiments me le disent !… Je suis la mère de Myrtille ? Eh bien, oui, j’ai aimé Marigny ! Eh bien, oui. Mais cette fille, je la déteste et c’est mon droit ! Est-ce que je la connais, moi ?…
– C’est affreux, ce que vous
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