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La Religion

La Religion

Titel: La Religion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Collectif
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dans la gorge, et il laissa la musique rouler à travers son âme, une sarabande qui caressait le visage de la mort comme les amants celui de leur aimée. L’instrument plus sombre submergeait ses sens de vagues d’une mélancolie comme en extase, un moment brutal d’exaltation, puis le suivant délicat comme la lumière d’une chandelle. Rien de ce qu’il avait connu, pas seulement entendu, mais connu, ne l’avait préparé à une telle transcendance. Qu’est-ce qui le possédait pour que son âme accepte de céder à cette force ? Quelle sorcellerie pouvait invoquer de tels spectres et les envoyer rugir à travers son cœur pour l’emporter vers une éternité inconnue et sans nom ? Et quand chaque note s’achevait, où allait-elle ? Et comment chacune pouvait-elle être, puis ne plus être ? Ou peut-être chacune se répercutait-elle en écho, jusqu’à la fin de toutes choses, d’un bout lointain de la Création à l’autre ? Encore et encore la musique montait et descendait, et enchaînait et affluait, avec un exubérant espoir et un désespoir démoniaque, comme si elle était invoquée, de la peau et du bois et des cordes de boyaux de bêtes, par des dieux que nul prêtre ni prophète n’avait jamais vénérés. Et à chaque fois qu’il savait que la musique devait mourir, épuisée par sa propre durée si extravagante, elle ressuscitait, encore et encore, tombant puis grimpant d’un sommet à un autre, pleurant pour un surcroît d’elle-même, pour un peu plus de son âme à lui. Cette âme emportée par le torrent, libéré des endroits verrouillés de son moi, faits de tout ce qu’il avait accompli et de tout ce qu’il avait connu, et de tout ce qu’il avait vu d’horreur, de gloire et de chagrin.
    Alors, aussi furtivement que le son était apparu, le silence lui vola sa place, et l’univers parut vide, et dans ce vide il était assis.
    Le temps rétablit sa domination et une fois de plus la senteur des roses et la fraîcheur de la brise et le poids de ses entrailles rampèrent pour renaître à sa conscience. Il découvrit qu’il était assis le visage dans les mains, et quand il écarta ses mains, elles étaient trempées de larmes. Il regarda cette humidité avec stupéfaction, car il n’avait pas pleuré depuis des décennies et avait cru que cela n’existait plus en lui. Pas depuis qu’il avait appris que toute chair est poussière, et que seul Dieu est grand et que, dans ce monde-là, les larmes n’existent que pour le réconfort des vaincus. Il essuya son visage avec la manche bordeaux de son pourpoint. Et juste à temps.
    « Chevalier Tannhauser, merci d’être venu. » La voix était presque aussi adorable que la musique. « Je suis Carla de La Penautier. »
    Il se leva, se calma et se retourna pour découvrir la femme qui le regardait, à quelques pas de distance, sur le seuil. Elle était plutôt petite, quelque peu étroite de hanches, mais avec de longues jambes et peut-être des mollets bien tournés et des chevilles fines, même si ces derniers attributs n’étaient que pure spéculation, car ses jambes étaient dissimulées par une robe qui forçait l’attention. Elle était couleur jus de grenade et d’une coupe si sensuelle qu’il avait du mal à ne pas en rester bouche bée. Le tissu collait à son corps comme de l’huile, comme du désir, et étincelait d’éclairs de lumière à chaque mouvement qu’elle faisait. Il sentit ses doigts s’animer d’un tic nerveux et les calma. Il reprit contrôle de ses sens et porta son attention vers son visage.
    Ses traits étaient clairs et dessinés, ses iris verts et comme encrés d’un fin cercle de noir. Malgré son nom, elle n’avait pas l’air française, mais possédait la stature d’une Sicilienne. Ses cheveux étaient de la couleur du miel, et traversés de mèches plus jaunes, comme si l’un des conquérants normands avait laissé des traces dans son sang. Ils étaient ramenés en une tresse nouée sur son crâne, mais si on leur rendait leur liberté, ils descendraient en cascade d’or. Malgré ses efforts, les yeux de Tannhauser revinrent vers son buste. La robe était attachée sur le devant par un ingénieux système de crochets et de boutonnières et venait soutenir ses seins – qui étaient de taille modeste et d’une blancheur frappante – en deux hémisphères exquis. Ces hémisphères étaient séparés par une fourche dans laquelle il aurait été heureux de

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