La Religion
devoir faisait comme une lourde pierre dans le ventre d’Orlandu. Il ne pouvait pas s’y dérober. S’il pénétrait dans le jardin, il savait qu’il risquait une bonne flagellation, ou même un séjour dans les cellules de Saint-Antoine, et pourtant s’il demandait la permission, il savait qu’on la lui refuserait. C’était comme si le chien avait cherché ce sanctuaire pour cette raison précise. Il leva le loquet, ouvrit la grille, et le chien se tourna pour le regarder, les oreilles dressées vers l’avant, sa gracieuse silhouette parfaitement immobile.
Orlandu referma la grille derrière lui.
Il s’avança sur le sentier entre les plantes. Et s’approchant, il vit les yeux du lévrier pour la première fois. Ils étaient grands, humides et noirs comme de l’huile de pétrole. Ils étaient emplis d’une inexprimable tristesse. Ils le percèrent jusqu’au cœur. Au dernier moment, le chien se laissa tomber sur le flanc et agita ses pattes dans l’air devant lui, comme s’il espérait qu’il allait lui caresser le ventre et que cette invitation à jouer épargnerait sa vie. Orlandu fut secoué de s’apercevoir que le chien, contrairement à ce qu’il s’imaginait, était une femelle.
Orlandu mit les mains sur ses hanches et la chienne se redressa d’un bond, et appuya son crâne fuselé et son long cou blanc contre sa poitrine, sa langue rose pendant, haletant de chaleur. Orlandu passa un bras autour de son cou. Elle était tout en os, poumons et muscles, mais son poil était aussi fin que du velours et il sentait son cœur battre contre sa paume. Le couteau tremblait dans sa main. Ce ne serait pas un bien grand péché que de se faufiler par la grille et de la laisser ici à l’ombre.
« Dieu te pardonnera. »
Orlandu tomba sur un genou et se retourna tout en serrant un peu plus le lévrier. Sur le pas d’une porte à l’arrière de l’auberge se tenait un moine. Ses cheveux avaient reculé jusqu’à ne plus être qu’une frange grise autour de son crâne. Sa voix était gentille, et ses yeux étaient aussi tristes que ceux du chien. Orlandu reconnut le père Lazaro, car Lazaro l’avait soigné d’une grave fièvre de poitrine des années auparavant. Peu des chevaliers daignaient apprendre le maltais, car c’était le langage du « petit peuple », mais comme les paysans et les gens de la ville étaient ses patients les plus fréquents, le père Lazaro le parlait couramment. Ce n’était pas un chevalier de l’ordre, mais un chapelain. Il s’avança vers Orlandu.
« Tu aurais également ma gratitude, dit-il. À ma grande honte, cette tâche s’est avérée plus douloureuse que mon courage ne le supportait.
– Elle est à vous ? balbutia Orlandu.
– J’en ai hérité, parce qu’elle ne montrait pas un grand amour pour la chasse. La nuit dernière, je l’ai lâchée dans les rues pour que quelqu’un, quelqu’un comme toi, porte le fardeau de son sort. Et pour cela, je dois te demander ton pardon. »
Orlandu inclina la tête. Son cœur battait aussi rapidement que celui de la chienne. Il se rendit soudain compte de ses pieds noirs de crasse, de sa chemise et sa culotte souillées, de la saleté et de la puanteur de la peau de mouton attachée autour de son bras, et du fait que, à l’évidence, il était, contrairement à ce gentil saint moine, un meurtrier chevronné.
Il dit : « Mon père, s’il vous plaît… » Sa gorge était sèche et il déglutit. « S’il vous plaît, pourriez-vous entendre ma confession, après ? »
Lazaro s’arrêta à côté de lui et posa une main sur sa tête. Ce contact fit irradier un réconfort cicatrisant dans tout son corps. « Tu ne dois pas faire ceci contre la voix de ta conscience, dit Lazaro, car cela serait désobéir à Dieu, et il vaut mieux que tu désobéisses au grand maître.
– Comment s’appelle-t-elle, mon père ? »
Lazaro enleva sa main, et qu’il fasse cela sembla sceller, aux yeux d’Orlandu, le destin du lévrier. Lazaro dit : « Il vaut mieux que tu ne le saches pas.
– Pourquoi ?
– Parce que, homme ou animal, il est plus facile de détruire une victime qui n’a pas de nom.
– S’il vous plaît, mon père, que je sache son nom ou pas, ce ne sera pas facile. J’aimerais pouvoir me souvenir d’elle dans mes prières.
– Je l’appelle Perséphone. »
Orlandu ne comprit pas, mais prononça le nom. « Perséphone. »
Lazaro regardait le
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