La Religion
impressionnant. Il avait une crinière de lion qui, au soleil, flambait comme du bronze en fusion. Parmi les habits simples des chevaliers, son pourpoint croisé d’or était une note de bravade, et ses hautes bottes à revers arrivaient presque jusqu’en haut de ses longues cuisses. À la hanche, il portait une épée et il avait passé dans sa ceinture un pistolet à long canon de conception compliquée. Des hommes à l’air martial, qu’ils soient nobles ou pas. Orlandu se lança dans une nouvelle rêverie. Il ne serait jamais chevalier, car son sang était de basse naissance et impur, mais il pourrait aspirer un jour à devenir un homme tel que ceux-là.
Derrière eux venaient deux femmes. Il n’avait plus vu une femme débarquer depuis des mois, mais cela n’excita pas sa curiosité. En présence de tels géants arpentant maintenant le quai, les femmes étaient de minuscules oiseaux au plumage terne. Il fut beaucoup plus attiré par le magnifique étalon doré que la plus jeune des deux menait par la bride. Il n’avait jamais rien vu de pareil et il en avait vu beaucoup, car la cavalerie des chevaliers était des meilleures. L’étalon ne pouvait pas être à la fille, ni même – du moins l’espérait-il – à sa maîtresse. Il devait appartenir à l’homme aux cheveux de lion. Malgré cette splendeur, son intérêt se tourna soudainement vers le grand maître, La Valette, qui venait accueillir les nouveaux arrivants.
Orlandu redressa les épaules et raidit son dos. Peut-être que La Valette allait regarder dans sa direction, voir ses blessures et se rendre compte que, comme lui, Orlandu était un tueur de chiens, et ainsi être fier de lui. Il s’avançait sur le quai, souple comme une panthère malgré les années, et plus grand que la plupart, la foule s’écartait à son passage, sa pèlerine noire se balançait derrière ses pieds, une simple dague à la ceinture, ses yeux d’épervier fixés droit devant lui, et il voyait pourtant tout. Oui, il voyait certainement Orlandu aussi, même s’il ne regardait pas de son côté.
La Valette avait livré quatre-vingt-sept batailles navales, certains disaient quatre-vingt-neuf. La Valette avait, de sa main, tué un millier de Turcs. La Valette avait survécu aux bancs des galères du terrifiant Abdul Rahman. La Valette avait survécu au terrible siège de Rhodes et ses camarades avaient dû le traîner jusqu’aux navires parce que, même si tout était perdu, il voulait continuer à se battre. Ni l’empereur Philippe en sa lointaine Castille, ni même le Saint-Père à Rome n’avaient d’emprise sur La Valette. Sa harangue pour la milice, la semaine précédente, était gravée dans l’esprit de tous les garçons, comme les saintes écritures.
« Aujourd’hui notre foi est menacée. La bataille qui va avoir lieu à Malte déterminera si les Évangiles – les paroles et les actions du Christ – doivent céder au Coran. Dieu nous a demandé de sacrifier les vies que nous lui avons vouées. Heureux sont ceux qui mourront pour sa cause sacrée. »
Le bonheur emplissait la poitrine d’Orlandu. Quand il priait Dieu, dans son for intérieur Dieu ressemblait à La Valette.
La Valette accueillait maintenant les deux intrépides aventuriers et, avec une grâce fugitive mais impeccable, les femmes, puis il se mit immédiatement à discuter avec l’étranger aux cheveux de lion, et ils commencèrent à s’éloigner sur le quai en direction du château Saint-Ange. Ils passèrent à moins de dix pas d’Orlandu, qui retint son souffle. Pendant que La Valette parlait, désignant différentes parties du paysage, l’étranger balayait le quai du regard, au-delà des laborieuses silhouettes des débardeurs, et Orlandu se retrouva soudain transpercé par des yeux bleu de flamme. Il faillit chanceler, comme si une force physique l’avait poussé ; mais il tint bon et le regard bleu se détourna.
Comme les femmes passaient, Orlandu prêta peu attention à la plus âgée et la plus majestueuse des deux. Elle détournait le visage, en grande conversation avec Oliver Starkey. Mais la fille qui menait l’étalon doré le regarda droit dans les yeux, avec une expression qu’il ne pouvait pas déchiffrer. Son visage était déséquilibré et étrange, et il se demanda si elle avait le pouvoir de lui jeter un sort, car elle le regarda à nouveau, par-dessus son épaule, au moment où elle disparaissait dans la foule.
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