La Religion
lévrier qui léchait la gorge d’Orlandu.
Il dit : « Il semble qu’elle te pardonne aussi. »
Orlandu serra les dents et posa la pointe de son couteau sur la poitrine de Perséphone.
Par émulation envers les chevaliers, il chuchota : « Pour le Christ et le Baptiste. »
Il enfonça le couteau jusqu’à ce que son poing frappe l’os proéminent du sternum. Perséphone laissa échapper un cri qui était presque humain et s’agita sous son bras avec une force alarmante. Orlandu serra plus fort et retira à moitié la lame, avant de changer d’angle pour la renfoncer. Il sentit quelque chose céder, puis éclater autour de la pointe, et en un instant toute la force de la chienne se fondit dans le néant et son long cou blanc tomba en travers de ses genoux.
Orlandu libéra la lame et des jets écarlates se répandirent sur le poil blanc. Il voulut lâcher son couteau, mais il ne pouvait pas abandonner une telle saleté dans ce jardin. Sans l’essuyer, il le glissa dans le dos de sa ceinture de corde. Il commença à soulever la carcasse dans ses deux bras pour la porter vers le chariot afin qu’elle soit brûlée, mais Lazaro posa une main sur son épaule.
« Je ferai le reste. Laisse-la ici. »
Orlandu reposa le lévrier sur le sol sous le buisson. Il fit un signe de croix.
« Mon père, est-ce que les chiens ont une âme ? »
Lazaro sourit. « Ce n’est pas un péché d’espérer qu’ils en aient une. Et puisque toi et moi devons prendre bien soin de nos âmes, nous irons voir le père Guillaume pour nous confesser ensemble. »
Même si Lazaro n’était pas un chevalier de justice, et n’avait donc jamais fait partie de ses héros militaires, Orlandu fut confondu par cet honneur. Il s’inclina, honteux une fois encore de son apparence de basse naissance.
« Mais d’abord, dit Lazaro, tu dois me laisser soigner ces blessures avant qu’elles ne se putréfient. »
Lazaro retourna vers l’auberge. Orlandu hésita à le suivre, incapable de croire qu’on allait lui permettre de pénétrer à l’intérieur. Lazaro se retourna et lui fit signe, et Orlandu suivit. La pièce au-delà du seuil était fraîche et sombre, et pleine d’un mélange d’odeurs prégnantes. Lazaro frotta les morsures d’Orlandu avec de la saumure et les badigeonna d’onguents, pendant qu’Orlandu se mordait l’intérieur des joues sans proférer un son.
Quand il eut fini, Lazaro dit : « Tu as vu les navires ?
– Les navires ?
– La flotte du Grand Turc. »
Orlandu se rappela les coups de canon de l’aube, la consternation dans les rues, mais il avait été si tourmenté par sa chasse au lévrier qu’il en avait oublié la cause de l’alarme. Il secoua la tête. « Non, mon père, mais j’aimerais bien. »
Lazaro mena Orlandu jusqu’à un escalier qui grimpait sur le toit de l’auberge. De là-haut, Orlandu pouvait voir au-delà des maisons de grès et de la baie de Kalkara, jusqu’aux gibets de la pointe aux Potences, et tout le large de la mer. Les eaux d’un bleu éclatant étaient masquées par un étrange tapis multicolore qui tremblotait comme un mirage sous la chaleur. Il était énorme, son extrémité lointaine frangeant l’horizon et sa marge orientale obscurcie par le mont San Salvatore.
En plissant les yeux, Orlandu se rendit compte que cet immense tapis était entièrement composé de navires de guerre. Le soleil faisait étinceler les proues dorées et les plaques d’argent, et les couleurs venaient de brillants auvents de soie, de bannières extravagantes et de voiles gonflées, et, dans un terrible silence, d’énormes rangs de rames plongeaient et se relevaient comme des battements d’ailes. Les navires filaient plein sud. Et il y en avait des centaines. Des centaines ? Orlandu se frotta les yeux et regarda encore. La marine de la Religion comptait sept galères, et Orlandu avait cru qu’elle était la plus puissante du monde.
Il sentit que Lazaro l’observait et, pris d’une impulsion encouragée par la patience du vieux moine, il demanda : « Mon père, est-ce un monde de rêve ? »
Lazaro le considéra et ses yeux chassieux se teintèrent de mélancolie.
Il dit : « Quand nous entrerons au royaume des cieux, peut-être notre monde nous paraîtra-t-il ainsi, oui. »
1 . En français dans le texte.
LUNDI 21 MAI 1565
L’auberge d’Angleterre
LA RUE MAJISTRAL était vide.
L’ensemble de la minuscule cité
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