La Religion
des marionnettes d’ombres à qui le vieil homme donnait vie sur un écran de mousseline. En dehors des esclaves qui traînaient leurs chaînes, Omar était le seul Turc de Malte. Personne ne savait comment il était arrivé ici, ni pourquoi il était resté, et sans doute aujourd’hui Omar ne le savait-il plus bien lui-même. Il était inoffensif et apportait du rire, et donc personne ne semblait se soucier qu’il soit musulman. On pensait aussi qu’il était fou, car il vivait seul dans un tonneau, et il accompagnait la pantomime de ses marionnettes de papier avec des grognements, des bruits de bouche et des petits cris qu’aucune personne saine d’esprit n’aurait su faire.
« Aha ! Aha ! caqueta Omar, en désignant les morsures d’Orlandu. Les chiens, c’est ! Les chiens ! »
Son maltais approximatif fut suivi d’une série de divers aboiements remarquablement imités qui s’acheva avec un hurlement douloureux et un sourire complètement édenté. Orlandu acquiesça et Omar lui offrit une autre ration de pain au vin qu’il mangea aussitôt.
« Le grand maître sait ! Il sait tout ! » Omar désignait la tour du château Saint-Ange. « Ils dansent sur sa musique ! Turcs ! Romains ! démons ! Tous ! Ils servent sa volonté. Oui ! »
Orlandu, stupéfait, hocha la tête pour l’encourager, comme on le fait avec un fou.
« Chiens, hommes, enfants, femmes, pouf ! » Omar mima une éruption avec ses mains puis les essuya avec un geste extravagant et présenta ses paumes vides. « Les chiens montrent chemin ! » Il mima un couteau qu’on aiguise. « Le maître crache sur pierre à aiguiser. Oui ! »
Orlandu n’avait pas compris un traître mot de ce qu’avait dit le vieil homme. Par gratitude, il répliqua : « Oui ! » et fut récompensé d’une autre bouchée de pain d’Omar. Orlandu avait repris ses forces. D’avoir entendu parler du grand maître alimenta sa volonté d’achever sa tâche. Il se leva, dominant le karagozi , et ses membres lui parurent à nouveau solides. Il remarqua pour la première fois qu’une galère s’était amarrée le long du quai. Ses marins parcouraient les gréements pour rouler les voiles rouges. Un nouveau contingent de chevaliers débarquait.
La marine de la Religion comptait sept galères. Il avait gratté bernacles et algues sur les coques saturées d’excréments de chacune d’entre elles. Celle-ci, c’était la Couronne . Chez les garçons de la ville, surtout ceux qui avaient l’honneur de servir comme porteurs d’eau, on se faisait une fierté de reconnaître et de nommer autant de nobles héros que l’on pouvait. Chaque rencontre était notée et racontée avec force discussions sur qui étaient les combattants les plus meurtriers, les marins les plus intrépides, les plus proches de Dieu. Mais tous les chevaliers à bord de la Couronne , supervisant le débarquement de leurs chevaux et de leur matériel, lui étaient parfaitement inconnus. Ces retardataires devaient provenir des plus lointaines commanderies de l’ordre, peut-être de Pologne ou de Scandinavie, ou même de Moscovie, ces terres fabuleuses tout au bout de la terre où fleurissait la magie, peuplées de tribus païennes qui rôtissaient encore dans leur armure les chevaliers capturés.
Il vit une figure célèbre descendre la passerelle, mais dont la cote de férocité n’était pas très haute. C’était Oliver Starkey. Derrière lui venaient deux étrangers d’une stature redoutable et d’une allure fougueuse, qui, d’après leurs vêtements, n’étaient clairement pas des chevaliers du tout. Il devina que ce devait être des soldados particular – des gentilshommes aventuriers – attirés à Malte par la chevalerie, la foi et la perspective d’action et de gloire. Ils ne réclamaient pas de paye, n’obéissaient à personne et combattaient avec ceux qu’ils choisissaient. Ces deux-là suggéraient assez peu la chevalerie et la courtoisie, mais ils étaient certainement nés pour l’action. Le premier était aussi énorme qu’un char à bœuf, avec des cheveux grossièrement taillés, une barbe gris fer, et plein de cicatrices. Il portait une veste de guerre brigantine cloutée de cuivre et s’était couvert d’armes, dont une flamberge allemande qu’il portait dans le dos et un mousquet de muraille dans les bras, assez long pour contenir un manche à balai.
Le plus grand des deux était encore plus
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