La Religion
Médicis était le pape Pie IV. Il régnait depuis déjà plus de cinq ans, et, eu égard à sa valeur – intellectuelle ou autre –, il n’aurait jamais dû accéder au fauteuil de saint Pierre. Sa seule qualification pour ce saint office consistait en trois décennies de flagornerie dans les pourtours ténébreux du Vatican. Après trois mois d’impasse amère lors du conclave de 1559, son élection avait été un compromis sordide – payé par le clan Farnese – pour empêcher l’accession de Ghisleri au trône papal. Médicis n’était pas un ami de l’Inquisition. Il était tendre envers l’hérésie et avait ouvert les portes des geôles pour libérer de nombreux dissidents. Corrompu jusqu’à la moelle, il avait créé quarante-six nouveaux cardinaux – plus que durant tout le siècle précédent –, chacun d’eux le payant d’une monnaie ou d’une autre. Et, pour tenter d’acheter son immortalité, il avait dépensé sans compter les millions d’écus arrachés aux poches de la paysannerie en nouveaux embellissements architecturaux pour sa tapageuse capitale.
Maintenant, Médicis était vieux et faible. Sa négligence pour la double menace du luthéranisme et de l’islam lui avait attiré de nombreux nouveaux ennemis. Chez ses détracteurs les plus fanatiques couraient des rumeurs d’assassinat. Il était de notoriété publique que le mieux qu’il ait fait pour aider l’ordre des chevaliers de Saint-Jean dans leurs ennuis présents avait été d’envoyer dix mille misérables écus depuis ses toilettes en or massif. En cette saison d’extrême fièvre politique, la valeur de Malte était un reproche permanent à l’indolence papale. Médicis désespérait désormais d’être vu comme le champion de Malte. C’était ce besoin que Ludovico avait l’intention d’exploiter.
« De quelle humeur sont les chevaliers ? demanda Ghisleri.
– Intraitable, répliqua Ludovico.
– Peuvent-ils gagner ?
– Avec l’aide de Dieu, La Valette croit qu’ils le peuvent.
– Et toi ?
– Si les chevaliers s’avèrent aussi fanatiques qu’ils l’affirment, oui, ils peuvent prévaloir.
– La Religion et l’Inquisition devraient être des alliés naturels. L’épée et le livre. » Ghisleri se frotta la barbe. « Et sous l’égide d’un Vatican nettoyé et revivifié… »
Ludovico mit un terme à son fantasme. « La Valette n’a confiance en personne en dehors de l’ordre.
– Y compris Médicis ?
– Surtout Médicis. Médicis a ignoré l’ambassadeur de La Valette pendant des mois.
– Fais-moi confiance, Médicis ne passera pas l’année », affirma Ghisleri.
Ludovico se demanda comment. Pour porter les sandales du Pêcheur, Ghisleri aurait à liquider tous les chapeaux rouges du conclave. Mais l’expression de Ghisleri lui suggéra de ne pas pousser plus loin ses questions.
« Si le successeur de Sa Sainteté (par là, Ghisleri entendait lui-même) pouvait compter sur l’allégeance politique de l’ordre, un ordre victorieux, les héros de toute l’Europe, il exercerait un pouvoir dont nul pape n’a joui depuis des générations. »
Ludovico acquiesça. Tous les papes voulaient contrôler les chevaliers de Saint-Jean : pour leur puissance militaire et leur immense prestige, pour leurs vastes terres et richesses. Si le Vatican s’emparait des rênes de la Religion, son pouvoir pourrait à nouveau rivaliser avec celui d’une nation majeure. Mais aucun pape n’avait jamais réussi à le faire.
« Les princes respectent la victoire encore plus que la pureté du sang, et certainement plus que la piété, grinça Ghisleri. La Religion, si elle survit, incarnera les trois. De tels ambassadeurs, déjà si bien intégrés dans les lignées de l’aristocratie européenne, seraient inestimables. » Ses yeux chassieux brillaient à la lueur des chandelles. « Si je – si le Vatican – pouvait forger une alliance avec la Religion et s’en servir pour unifier les princes italiens, et gagner la faveur des Français, alors nous pourrions commencer à contrer la puissance espagnole. Et alors l’Italie pourrait forger sa propre destinée, comme par le passé.
– Les chevaliers méprisent les querelles européennes, dit Ludovico. Ils ne vivent que pour combattre l’islam. Ils rêvent encore de Jérusalem.
– Toi aussi ?
– Je rêve d’une Italie libérée des armées étrangères, dirigée et unie par l’Église,
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