La Revanche de Blanche
yeux rivés sur les oies tortillant du croupion dans le parc, Athénaïs reste imperturbable. Sentant l’étau se resserrer, Blanche se convainc qu’il lui faudra s’entretenir avec le roi, peut-être le reconquérir afin qu’il lui épargne la torture, si d’aventure la Voisin parlait.
Dans la tourmente, le roi ne cède rien à ses rituels invariables. Chaque après-midi, il se promène avec Angélique. Athénaïs ronge son frein. Au carrosse gris perle de la nouvelle maîtresse sont attelés huit chevaux, à celui d’Athénaïs, six. La Fontanges a cinq gardes du corps, vingt femmes de chambre ; la Montespan, moitié moins. Sa colère éclate le jour où sa rivale porte un nouveau collier de diamants, une traîne trois fois plus longue que la sienne, tenue par six pages. Elle la couvre d’injures, le roi lui ordonne de souper dans sa chambre. Angélique monte comme une étoile dans le ciel de mai.
De guerre lasse, Athénaïs charge Mme de Maintenon de faire la morale à cette « greluche ». En se goinfrant de biscuits aux amandes, elle confie à Blanche :
— La Maintenon a tout tenté. « Si vous aimez le roi, lui a-t-elle dit, vous devez le sauver et vous sauver avec lui ; si vous ne l’aimez point, l’effort ne vous coûtera pas. Quoi qu’il en soit, en le quittant, vous ferez une belle et louable action. » Angélique lui a rétorqué : « Mais, madame, vous parlez de me défaire d’une passion comme de quitter une chemise. » Que répondre à ces sornettes ? Il n’y a rien à faire contre la bêtise.
Le dimanche des Rameaux, après l’office, Athénaïs apostrophe le père La Chaise, le rudoie : « Au lieu de vous empiffrer, vous feriez mieux de penser au salut du roi, vieille chaise percée ! » La Palatine s’approche de Blanche, lui annonce la mort de la duchesse de Longueville. Blanche se souvient alors que la Voisin avait jeté un sort aux vieilles Précieuses. Mmes de La Tour, de Sablé, de Longueville sont enfin réunies dans leur ruelle éternelle. La Rochefoucauld pleure celle qui l’avait fait tant souffrir :
— Anne-Geneviève a beaucoup prié pour qu’on punisse les prêtres sataniques. Place de Grève, les têtes commencent à tomber… La Bosse et la Vigoureux ont été condamnées au bûcher : le début d’une longue série.
Le dimanche suivant, en robe à ramages, Blanche cueille des fleurs des champs sur les bords de la Seine. Un cavalier traverse le petit pont de bois qui mène au village. À son cheval noir, Blanche reconnaît Louis. Les plumes de son chapeau volettent dans l’air frisquet du matin. Teint rose, moustache charbon, il prend le bras de Blanche :
— Faisons quelques pas, ma chère. Je devine que vous avez des choses à me dire.
— Majesté, je n’oserais… Vous êtes si occupé.
— Au nom de la tendresse qui nous lie, parlez sans crainte.
— C’est que… Marquise, votre chère fille, vous réclame souvent. Il m’a fallu lui faire croire que son père était en Russie… Elle est fine, sensible.
— Notre plus cher désir serait de faire sa connaissance. Nos devoirs nous obligent. Pour vous plaire, je rédigerai une lettre à son intention. À n’ouvrir que lorsqu’elle aura dix-huit ans. Ah ! j’oubliais : désormais votre rente annuelle se montera à deux mille cinq livres. Donnez-moi un baiser, je vous en prie.
Blanche se hisse vers le roi dont les lèvres sont douces.
Il reprend son pas lent. Elle court jeter sept cailloux dans l’eau verte en faisant un vœu.
En juin, fêtes et pique-niques font oublier l’odeur des bûchers. Après une partie de dés sous les tilleuls, Athénaïs et Blanche vont se rafraîchir à une fontaine. Angélique les rejoint. La Montespan la sèche :
— Ces eaux sont trop troubles pour vos tendres boyaux.
— Le roi m’a promis que je serai duchesse : vous me devrez le respect, crâne Angélique.
N’y tenant plus, Athénaïs se rue vers les bureaux du roi. Elle en revient, grisée :
— Louis me fait don de la charge de surintendante de la reine. Il va l’acheter une fortune à Olympe. Pour que j’aie droit au tabouret, il m’accorde le titre de chef du conseil de la reine et une pension de quinze mille livres.
Blanche lui tire la langue : depuis le temps que la Montespan la fatigue avec son tabouret !
Au cours du mois de juillet, d’étranges visites se succèdent chez Athénaïs. Blanche surveille les allées et venues d’une petite
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