La Revanche de Blanche

musclé, une barbe de trois jours, Antoine fait tournoyer Marquise, lui offre une corne d’éléphant, décrit les danses endiablées des sauvages, leurs huttes, leurs masques étranges. Mutine, un tantinet aguicheuse, Blanche se demande s’il est à nouveau épris d’une autre. Guillaume lui fait signe de le suivre à la cuisine. Il a hâte de savoir si elle a du nouveau. Elle se contente d’évoquer la jalousie de la Montespan, les médisances d’Olympe, les cachotteries de Monsieur. Il insiste : des bruits courent ; un attentat contre le roi serait imminent. Blanche promet de redoubler d’attention. Sous la table, alors qu’elle termine sa part de bûche, Antoine pose la main sur son genou. Son ventre se serre avec délice.
    — Pourquoi t’éternises-tu à la Cour, belle marquise ? badine-t-il.
    — Parce que je le vaux bien. Être dame de compagnie est un travail plutôt agréable et bien payé.
    — Que d’efforts pour être entretenue et mener grand train ! Le jour où tu sortiras de ce guêpier, je serai ton homme.
    — Il te faudra attendre d’être riche, le mouche Blanche d’un éclat de rire.
    Émoustillée par le vin de Champagne, elle regagne son hôtel avec l’impression d’un rendez-vous manqué.
     
    Début février 1679, le château de Saint-Germain croule sous la neige. Les courtisans se préparent pour un bal masqué. Monsieur fait des essayages de robes indiennes, Madame, d’habits de maréchaux ; la Palatine exige des soieries, La Rochefoucauld, un casque romain… Athénaïs boude :
    — Tu arrives enfin, Blanche. Nous n’irons pas à cette mascarade. Tu me tiendras compagnie jusqu’à ce que je te fasse signe de te retirer. J’attends une visite…
    — Encore ! J’imagine qu’il s’agit de la Voisin…
    — Silence ! Je t’interdis de prononcer son nom, s’affole Athénaïs.
    — Je ne dis jamais rien.
    Athénaïs se parfume d’effluves capiteuses. Les mains sur ses hanches, elle se plante devant Blanche :
    — Sache que je n’ai rien à me reprocher. Cette femme me fait du bien. Elle m’a apporté des hosties consacrées, des reliques.
    La fête bat son plein. À minuit, deux ombres passent dans le parc. Athénaïs fait sortir Blanche. Au détour d’un couloir, la vieille surgit en compagnie d’un brun au nez crochu.
    Au matin, Blanche dénoue les cheveux d’Athénaïs avec rage :
    — Qui était l’homme au bec d’aigle hier soir ?
    — Tu me fais mal, petite curieuse. Notre amie a eu la bonté de me présenter le fiancé de sa fille, un couturier très doué.
    À midi, Blanche passe devant l’entrée des appartements d’Angélique. Ledit couturier se faufile entre les domestiques de Mlle de Fontanges. Sur ses gardes, la jeune fille fronce le front. Ce type lui paraît louche.
     
    Le 12 mars, après le souper, Athénaïs fait irruption chez Blanche, son caméléon sous le bras. Elle est blême :
    — Colbert a prévenu Louis : Desgrez a arrêté la Voisin ce matin !
    Ses yeux roulent. Elle jette le caméléon sur le lit, se ronge les ongles.
    — Mon Dieu, elle va nous dénoncer… geint Blanche, les doigts agrippés au coin de sa coiffeuse.
    — Il faut que je lui parle avant qu’elle soit interrogée. Le temps presse. J’irai la voir en prison, je saurai la convaincre… Nous partons demain matin pour Paris.
    — Tu perds la tête. On te reconnaîtra, on ne te laissera jamais entrer.
    — Ne t’inquiète pas, je ruserai. Seul souci : j’ignore si elle se trouve à la Bastille ou à Vincennes. J’ai une idée : ton frère nous éclairera. Dès que nous arriverons, tu iras lui tirer les vers du nez, comme en passant.
    — Nous allons nous jeter dans la gueule du loup, se rebiffe Blanche.
    — Joue les naïves ; tu es une bonne comédienne, oui ou non ? Allez, bonne nuit : rendez-vous à l’aube. Je t’aime, ma belle, tu sais. Nous aurons besoin de tous nos esprits.
    Recroquevillée dans son lit, Blanche n’arrive pas à trouver le sommeil. Si d’aventure Athénaïs arrive jusqu’à la geôle de la Voisin, que lui offrira-t-elle en échange de son silence ? Exigera-t-elle qu’elle ne donne ni son nom ni le sien ? Elle se promet d’obliger la Montespan à lui jurer qu’elle la protégera, faute de quoi, elle n’ira pas voir Guillaume.
     
    Le jour se lève, la brume nimbe la campagne. Tirées par quatre juments baies, Athénaïs et Blanche roulent vers Paris. Sans céruse, des rougeurs parsèment le