La Revanche de Blanche
ensuite le plaisir de nous révéler ses satires.
Racine déroule un parchemin, déclame ses vers avec emphase. Subjuguée par le drame qui se joue entre Porus et Taxile pour l’amour d’Ariane, Blanche gobe chaque alexandrin. Prise de vertige par la musique des vers, elle revit les émotions ressenties lors de la représentation des Précieuses ridicules . Le même frisson, plus puissant, plus profond. Le public applaudit. La lecture des satires de Boileau la fait sourire, sans plus. Près d’un pilier, Charles ne la quitte pas des yeux. Des valets servent des rafraîchissements. Blanche tente de s’approcher de Racine que félicite avec fougue la comtesse du Plessis-Guénégaud :
— Quand allez-vous mettre en scène ce chef-d’œuvre, cher ami ?
— Pas avant le mois de décembre, madame. Nous l’avons confié à la troupe de Molière qui avait interprété La Thébaïde. Les comédiens commenceront à répéter après les représentations de Dom Juan. Vous rendrez-vous à la première mercredi prochain, au Palais-Royal ?
— Sûrement pas ! Avec ses tartufferies, Molière a eu l’audace de s’attaquer à la Compagnie du Saint-Sacrement. Sacrilège, impiété, offense aux lois et à Dieu ; il mériterait d’être brûlé pour ce crime qui ruine la religion.
Indignée par la virulence de la comtesse, Blanche s’apprête à aborder Racine. Telle une poule en furie, Charlotte de Bouillon se précipite vers le poète. Son double menton tremble :
— Cher monsieur Racine, je ne saurais vous dire mon admiration, ma vénération, ma passion pour votre Alexandre.
Racine s’écarte. Charlotte pousse sa fille, glousse :
— Aglaé, ma cadette. Elle vous voue une adoration sans bornes.
Un verre de jus de raisin à la main, Blanche observe la scène. Aglaé a la beauté innocente d’un Botticelli. Aussi rousse que sa mère, un visage de madone que durcit un nez busqué, un menton volontaire, trop carré, elle toise Racine qu’elle dépasse d’une tête. Celui-ci ne tarde pas à se dégager de cet attelage encombrant.
Un homme à longue barbe blanche rejoint les Bouillon. Charlotte le présente à Mme du Plessis-Guénégaud : « François de Bourbon Vendôme, duc de Beaufort. » Blanche serre les poings : les ennemis d’Émilie sont là, sous ses yeux. Elle voudrait leur crier sa haine et son dégoût. Elle se retient. Pas ici, pas maintenant.
Pressée de dire un mot à Racine qui file à l’anglaise, elle soulève sa jupe, se met à courir, dérape à ses pieds sur le parquet luisant. Racine la retient :
— Vous auriez pu vous blesser, mademoiselle. Que d’impatience !
— Vous êtes un génie, monsieur. Vos vers m’ont éblouie.
— Charmante enfant, comment vous appelez-vous ?
— Blanche de La Motte. J’aurais besoin de vos lumières : j’aimerais tant jouer la tragédie, il n’y a rien de plus beau au monde.
— Un peu de tempérance, demoiselle. Vous rêvez d’un métier terrible. Si j’avais une fille et qu’elle désirait monter sur les planches, ce serait le jour le plus triste de ma vie.
— Pourquoi me découragez-vous ? s’assombrit Blanche.
— Une comédienne est la plus exposée des femmes. On veut l’aimer et, en même temps, la détruire.
— Il ne faut pas écrire de tragédies si vous n’aimez pas les comédiennes.
— Quel à-propos ! Désolé, je ne peux rien faire pour vous. Je ne suis à la tête d’aucune troupe. Allez donc voir mon ami Molière. Si vous savez lui plaire, peut-être acceptera-t-il de vous confier un rôle. Dites-lui que vous venez de ma part, cela pourra vous aider.
— Mais je ne veux pas jouer la comédie…
— Vous devriez. Cet art est bien plus populaire. Il emporte les suffrages. Molière a échoué dans ses tentatives de tragédies ; il s’est replié sur la farce. Il se montre très protecteur envers moi. J’espère ne pas le décevoir. Je n’ai ni son humour ni sa liberté. Permettez, chère Blanche, il faut que je m’en retourne à mes tablettes, s’incline Racine avant de traverser la cour pavée à grandes enjambées.
Sur la pelouse nappée de gel, des chiens se battent pour un os. D’un pas pressé, Beaufort s’approche d’une fenêtre et pisse derrière un rideau de satin jaune. Je le déteste, murmure Blanche, il a fait trop de mal à maman. Déçue par la tiédeur de Racine, elle part à la recherche de Ninon, s’aventure dans un couloir qui donne sur des boudoirs, des
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