La Revanche de Blanche
Madeleine et de Geneviève. Notre mère, Marie Hervé, nous a jetés dans la bouilloire quand nous étions petits. Une grande actrice qui a contribué à fonder l’Illustre Théâtre. Je n’ai pas hérité de ses talents, je me contente de jouer les vieillards et les valets, c’est déjà ça !
Une petite femme au nez pointu, les joues creuses, tend la main à Blanche.
— Notre Geneviève est réservée, mais très douée, la complimente Molière en caressant le menton de la cadette des Béjart. Madeleine viendra tout à l’heure. Elle ne joue pas dans cette pièce.
La Grange soulève son chapeau. Ce petit homme à perruque blonde et baudrier brodé, l’air enjoué, honnête, est le caissier et l’archiviste de la troupe. Acteur renommé, Molière l’adule. Dans L’Impromptu de Versailles , il lui a juste déclaré : « Pour vous, je n’ai rien à vous dire. » L’année dernière, il lui a cédé sa charge d’orateur. Avant le spectacle, La Grange a la responsabilité de haranguer le public et de faire le compliment :
— C’est un honneur de vous recevoir, chère enfant. Ici, nous sommes en famille. Voici Catherine, son mari, Edme de Brie, Geneviève et son époux, Léonard de Loménie.
Blanche s’incline. Jolie brune aux yeux clairs, Catherine de Brie lance à Jean-Baptiste un coup d’œil mutin. Une femme au corps galbé, souple comme une danseuse, s’avance vers Molière. Son visage à l’architecture parfaite, ses yeux océan, sa chevelure blonde abondante lui donnent fière allure.
— Vous connaissez bien sûr Marquise Du Parc ?
Fascinée par la grâce et l’assurance qui se dégagent de l’actrice, Blanche n’ose contrarier Poquelin, À trente-deux ans, la Du Parc rayonne. Elle est veuve – son mari, René Berthelot, dit Gros-René, est mort en 1664. Tout lui sourit. Du Croisy, Marotte et La Thorillière serrent la main de Blanche. Elle se perd, a du mal à se souvenir des noms, la tête lui tourne.
Beauchamp, grand maître des ballets, fait son entrée. Moustache effilée, boucles d’oreilles et dentelles, il s’appuie sur sa canne avec nonchalance.
— Nous allons danser la courante. Le roi sera fort aise : nous l’avions donnée à Vaux, chantonne-t-il.
— Merci, cher ami. Nous verrons cela plus tard. Je vais faire répéter notre jeune première, prévient Molière.
Blanche se liquéfie. Elle monte sur les planches, se sent jaugée. Ses genoux tremblent. Molière entoure ses épaules d’un bras protecteur :
— Avant de jouer, ma fille, il faut commencer par le silence. Prenez une grande respiration et lisez la première réplique de Lisette.
Blanche inspire :
— Hé bien ! Monsieur, vous venez d’entretenir votre fille. Avez-vous su la cause de sa mélancolie ? scande-t-elle d’une petite voix.
— Bon début, la félicite Jean-Baptiste. Reprenez à la scène VI et n’oubliez pas d’accentuer la ponctuation.
Blanche se concentre. Elle s’adresse à Molière, rien qu’à lui.
— Votre fille, toute saisie des paroles que vous lui avez dites et de la colère effroyable où elle vous a vu contre elle, est montée dans sa chambre, et, pleine de désespoir, a ouvert la fenêtre qui regarde sur la rivière , lit-elle en articulant chaque syllabe.
— Ne récitez pas, petite, la coupe Jean-Baptiste. Ressentez. Trouvez en vous des émotions que vous avez éprouvées. Vous avez de la peine pour Lucinde, comme si une de vos amies ou votre mère était en danger.
Blanche pense à Émilie, laisse monter sa tristesse.
— C’est très bien… Vous êtes juste, très mignonne aussi. Nous reprendrons plus tard. Ah, te voilà ma chère Madeleine !
Encore belle malgré son âge, Madeleine Béjart semble lasse, mélancolique.
— Je lui dois tout, confie Molière à Blanche. C’est pour elle que j’ai quitté les bancs de la Sorbonne et fondé l’Illustre Théâtre. Elle est l’âme de la troupe. Vous l’aimerez.
Le visage de Madeleine s’illumine d’une expression douce et bienveillante. Malgré les pattes d’oie et le voile qui embue ses yeux, on y lit l’amour qu’elle porte à Molière :
— Je laisse ma place à la jeunesse. Je suis trop occupée par mes affaires, quelques placements qui, j’espère, nous rapporteront.
Place aux ballets. Beauchamp commence à danser avec son ami, Lully. Racé, nez busqué, regard de braise, l’Italien esquisse de savants ronds de jambe au rythme des violons. Beauchamp orchestre une
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