La Revanche de Blanche
chorégraphie minutieuse où se marient harmonie et mesure. Portée par la musique, Blanche suit le maestro. Elle ne voit plus le temps passer. Molière enchaîne les lectures . Scène III , dans une longue tirade, Lisette ruse afin de sortir Lucinde de son mutisme. Trop appliquée lors des premiers essais, Blanche se fait plus polissonne. Les bouderies et les minauderies d’Armande l’y incitent. La femme de Jean-Baptiste se déhanche, roule des yeux. Les répliques fusent. Blanche a du mal à suivre ce tac au tac. Molière l’invite à renvoyer la balle. Il répète : Non, ne m’en parlez point , elle rétorque six fois : Un mari. Elle hésite, bafouille, finit par suivre le rythme.
La satire des médecins la ravit. Ces messieurs se gargarisent de formules ronflantes, se chamaillent pour des broutilles, débitent des diagnostics ridicules : « grande chaleur de sang », « pourriture d’humeurs causée par une trop grande réplétion » ; ils usent et abusent de saignées, d’émétique, d’orviétan. Acte III, Blanche-Lisette défend avec fougue l’amour et « ses choses extraordinaires ». À dix heures du soir, Molière déclare :
— Nos divertissements feront les délices du roi. Nous reprendrons demain. Nous partons le 13 septembre pour Versailles. Nous y jouerons L’Amour médecin, en alternance avec L’École des maris et L’Impromptu. Bonne nuit, la compagnie !
Blase raccompagne Blanche à l’hôtel de Sagone. Cheveux aux vents, elle ferme les yeux. Tout est si nouveau, si inattendu. La comédienne en herbe se souvient des réserves de Racine. Pourquoi disait-il qu’on peut aimer les actrices, et, en même temps, les détruire ?
Lovée sur un édredon, Ninon lit La Princesse de Montpensier , publiée il y a trois ans, sous un nom de plume, par son amie Marie-Madeleine de La Fayette. Blanche s’allonge près d’elle :
— Quelle journée ! Ils sont très aimables, surtout Molière. Je n’ai pas été à la hauteur : ils ont tant d’aisance.
— C’est ce que tu crois ! Jean-Baptiste te guidera. C’est un homme sensible, trop peut-être.
Dans sa chambre, face à son miroir, Blanche mâche son texte, le chante, le danse, jusqu’à épuisement. Tard dans la nuit, tout s’embrouille.
Le lendemain matin, Molière est tendu. Le temps presse. Éblouie par la diction de La Grange, le comique de Molière, les roueries d’Armande et de Catherine, Blanche attend son tour, une boule au ventre. Molière lui fait signe, l’observe :
— Accompagne tes paroles par des gestes. Nous avons des codes : les mains sur le cœur pour l’amour, les bras ouverts pour la joie, les poings fermés pour la colère. C’est bien, tu progresses.
Touchée qu’il l’ait tutoyée, Blanche s’exerce à déclamer les vers, à bouger, à porter sa voix. Entre deux scènes, Armande exige une plus longue traîne, des rubans, des dentelles. Pendant que la couturière bidouille un raccord, Catherine de Brie ricane.
— Quelle capricieuse ! Jean-Baptiste lui cède toujours, glisse-t-elle au creux de l’oreille de Blanche. Elle le mène à la baguette. Elle a vingt-sept ans de moins que lui : ça explique tout !
— Elle n’a pas l’air d’apprécier ma présence…
6
Après cinq journées de travail intense, mise en scène, ballets et décors, tout est prêt. Molière fera quelques dernières mises au point sur place. Le vendredi 13 septembre, la troupe s’ébranle pour Versailles dans quatre voitures. En chemin, on chante, on blague, on s’embrasse. Juchée sur une banquette, Blanche récite son texte.
Des étangs, des buttes, des plateaux et des bois : le paysage se fait plus sauvage, comme une invitation aux escapades amoureuses. Sur une butte, à l’ombre des ailes d’un moulin, le manoir de Louis XIII apparaît dans la brume. Construit en 1630 sur un ancien pavillon de chasse, il se compose d’un corps de logis de briques roses avec deux ailes en demi-lune encadrant une avant-cour de marbre fermée par une grille. Côté jardin, l’étage est doté d’un balcon de fer dû à Le Maistre. Dans le parc récemment dessiné par Le Nôtre, de longues allées de tilleuls bordées de labyrinthes d’ifs et de sapins venus de Normandie s’étirent depuis le parterre occidental. Près de celui du midi, une orangerie aménagée par Le Vau, au sud-ouest, la nouvelle ménagerie.
Dès qu’il le peut, Louis XIV s’échappe du Louvre avec Louise de La Vallière
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