La Revanche de Blanche

aimé dire : Monsieur, vuidez la querelle, s’il vous plaît , tant ce « vuidez » me plaît, soupire Blanche.
    Molière secoue son pourpoint, se tourne vers Ninon. Blanche ne l’entend pas dire : « Nous verrons ! »

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    Blanche est trempée. En revenant de la messe, elle a couru sous des trombes d’eau. Elle sèche ses cheveux avec une serviette. Songe à sa rencontre avec Athénaïs, il y a un mois. Elle aimerait tant devenir son amie, craint que la marquise la considère comme une gamine. N’a-t-elle pas qualifié Charles de jeunot, de blanc-bec ? Mieux vaut ne pas trop en attendre et penser à soi, se convainc-t-elle, résolue à tout faire pour que Molière lui offre un petit rôle. Elle enfile une robe propre. Blase toque à sa porte, un billet à la main. Elle le décachette à la hâte :
    Chère Blanche, je serai cours la Reine demain à six heures du soir. Mon carrosse est rehaussé de plumes rouges. Je t’attends. Charles.
    Blanche embrasse le bout de papier, s’empourpre, sautille, dévale l’escalier. Dans la cuisine, Ninon touille un pot-au-feu fumant. Blanche brandit le poulet :
    — Charles m’invite dans son carrosse demain ! C’est fou, non ?
    Ninon goûte un peu de bouillon, se brûle la langue :
    — S’il t’avait invitée chez lui, en présence de sa mère, tu aurais pu accepter. Ce rendez-vous aux allures clandestines risque de te mettre dans une situation embarrassante pour ta réputation.
    — Je viens d’avoir quatorze ans, je fais ce que je veux.
    — Nous verrons s’il a de la suite dans les idées…
     
    Le printemps n’est pas propice à la concentration. Obligé de rappeler son élève à l’ordre, M. Joyeux s’arrache les cheveux. Malgré ses progrès en latin – pour plaire à Charles –, Blanche rêvasse. Dans l’air plein de pollen de la place Royale, elle s’achète des breloques, s’arrête devant l’hôtel des La Tour. À travers les hautes fenêtres, se devinent des lustres de cristal, des plafonds peints. Déçue que Charles ait abandonné la partie, elle harcèle Ninon qui tient bon et se refuse à déranger Molière. Les études avant la comédie. En juin, invitée par Mme de Montchevreuil, une amie de Françoise Scarron, à passer l’été dans le Vexin, sa marraine espère que la joyeuse bande de jeunes gens qui séjourne dans le petit château lui changera les idées.
    Pendant le voyage, les dames font de la tapisserie. Le nez à la fenêtre de la voiture, Blanche boude. Au creux d’une vallée où coule une rivière, la propriété des Montchevreuil résonne des rires d’une dizaine de cousins de son âge. Dans les jardins à la Française fraîchement dessinés, les jeunes gens l’invitent à leurs parties de colin-maillard, chat perché, boules, volants. Même s’ils sont un peu gamins à son goût, Blanche accepte. Louis de Villarceaux, le père d’Antoine, la quarantaine du séducteur attardé, tourne autour de Françoise avec un empressement qui défrise celle qui fut sa timide maîtresse. Réfugiées sous un cèdre hospitalier, Ninon et Françoise  rient des compliments appuyés du marquis. À la fin de l’été, Blanche s’impatiente de rentrer.
    À sa grande surprise, un billet de Molière l’attend :
    A uteuil, le 15 août 1665
    Mademoiselle,
    Le roi m’a commandé, il y a peu, une comédie-ballet destinée à divertir la Cour lors des réjouissances organisées pour l’ouverture de la chasse à Versailles. J’écris à la hâte L’Amour médecin, un petit impromptu en trois actes accompagné de quelques ornements. Les airs et les symphonies de l’incomparable monsieur Lully mêlés aux voix et à l’adresse de quelques danseurs donneront sans doute à cette comédie sans prétention des grâces dont on ne saurait se passer. L’Amour médecin sera représenté le 14 septembre au coucher du roi, puis, le 22 au théâtre du Palais-Royal. J’espère achever mon coup de crayon début septembre. Nous risquons d’avoir très peu de temps pour apprendre et répéter…
    J’ai apprécié votre audace, votre naturel et pensé à vous pour la petite Lisette, la suivante de Lucinde. Seriez-vous prête à accepter ce rôle ?
    Votre Molière.
    L’enthousiasme de Blanche ne peut que réjouir Ninon. Elle fait confiance à Molière. Il saura la former, sa troupe est accueillante. Blanche reprendra ses cours après les représentations. La femme d’expérience voit aussi dans cette proposition une occasion