La Revanche de Blanche
de présenter sa filleule au roi. Si elle lui sied, peut-être se montrera-t-il généreux ? La duchesse de Longueville appréciera.
À califourchon sur un coussin du lit de Ninon, Blanche bombarde sa marraine de questions : « Ces comédiens si unis ne vont-ils pas me regarder de haut ? Serai-je capable de jouer devant le roi, la Cour ? » Ninon la raisonne : Molière l’a choisie, il l’estime capable. Ce soir-là, au creux de son lit douillet, Blanche relit la lettre de son père. S’étire avec volupté : il serait fier de moi. Lisette, c’est joli. Un rôle d’ingénue, ça m’ira bien. Pourvu que je ne déçoive pas Molière. Que je n’aie pas l’air trop godiche. Ce sera drôle de narguer la Bouillon et les vieilles Précieuses. Pourvu qu’Athénaïs soit à Versailles. Charles aussi.
Afin d’en savoir plus, Ninon ne tarde pas à se rendre chez Molière. Les répétitions débutent dans huit jours, le 8 septembre. Elles se limiteront à cinq grosses journées. Après le scandale provoqué par Dom Juan , Molière n’a qu’un souci : plaire au roi. Le souverain a décidé que sa troupe lui appartiendrait et lui a accordé six mille livres de pension. Débordé de travail, il a à peine le temps de voir sa fille, Esprit-Madeleine, née le 4 août dernier. Sa femme, Armande, la fille de Madeleine Béjart, qu’il a élevée – d’après les mauvaises langues, il serait son père –, s’énerve pour des broutilles. Dans L’Amour médecin, Jean-Baptiste s’est inspiré de Louis-Henri Daquin, le médecin du roi, propriétaire de la maison qu’il loue, près du Palais-Royal, à l’angle de la rue Thomas-du-Louvre où il loge avec sa troupe. Mais aussi d’Alliot, le médecin de la reine mère, atteinte d’une tumeur au sein. Un homme, soi-disant réputé, qui mortifie la chair d’Anne d’Autriche et la coupe en tranches avec un rasoir, deux fois par jour, en présence de la famille royale. L’an dernier, Poquelin a perdu son fils et deux de ses amis, La Mothe et Du Parc. Traumatisé, il se réjouit de ridiculiser ces messieurs de la faculté, leurs vaines querelles et leurs escroqueries en tous genres.
Blanche passe de l’exaltation à l’angoisse. Le 8 septembre, à dix heures du matin, Ninon l’accompagne au théâtre du Palais-Royal. Les comédiens s’occupent sur la scène. Elle traverse à petits pas le parterre, en veut à Ninon d’être en retard. Un grand maigre poudré et emplumé court dans tous les sens. De son accent fleuri, il ordonne aux ouvriers de transporter des toiles peintes : un paysage de campagne, une place publique avec ses tavernes, ses échoppes, ses passants. Carlo Vigarani, le décorateur de Molière, est un homme pressé. Il dispose sur scène quatre chaises et un écritoire sur lequel il range avec méticulosité une bague, des jetons, une bourse. Parmi les acteurs qui attendent qu’il ait fini de s’activer, Blanche reconnaît ceux qu’elle avait vus jouer dans Les Précieuses et dans Dom Juan : La Grange, Du Croisy, Marie Ragueneau, dite Marotte, Catherine de Brie et Armande Béjart. Cinq hommes en longs manteaux noirs et chapeaux pointus manipulent de grosses seringues et des clystères. Ninon fait signe à Molière. Il dégringole vers elle. D’un grand coup de chapeau, il salue Blanche :
— Ravi de vous accueillir, mademoiselle. Voici votre texte. Nous ferons une première lecture tout à l’heure. J’espère que cette comédie-ballet vous plaira. Je tiens le rôle de Sganarelle, mon vieux compère, Armande, celui de ma fille, Lucinde. Ce radin de Sganarelle refuse que Lucinde épouse Clitandre. La coquine feint la maladie. Clitandre se fait passer pour un des médecins venus la soigner. Vous découvrirez la suite. Montrez-vous vive et rusée, laissez-vous guider, tout ira bien. Allons, allons, on fait une pause les amis !
Blanche serre le livret sur sa poitrine, se mord les lèvres. Les comédiens descendent de la scène, rient, se chamaillent.
— Un peu de calme, s’écrie Molière, je vous présente Blanche de La Motte, notre petite Lisette.
Blanche passe une main dans ses cheveux. Ils sont tous plus âgés qu’elle. Armande, trente ans, frimousse mutine, nez retroussé, bouclettes châtain, lui souhaite la bienvenue du bout des lèvres. Louis Béjart, oreilles décollées, tignasse rousse, boitille vers elle :
— Enchanté. Mon nom de scène est l’Éguisé, c’est tout dire ! Je suis le frère de
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