La Revanche de Blanche

peu de bouillon et je me coucherai tôt, décrète-t-elle.
    — Comme tu veux ! J’espère que la Cour ne t’a pas fait perdre la raison. Je suis sûr que le roi n’a pas été insensible à ta petite personne.
    — Il m’a souri, figure-toi, crâne Blanche. Je vais peut-être devenir demoiselle d’honneur de la reine.
    — Tu ne vas tout de même pas tomber dans ce panier d’anguilles. Les suivantes ressemblent à des guêpes après l’orage, se moque Antoine d’une moue dédaigneuse.
    Un laquais remet à Blanche un billet accompagné d’un petit paquet. Elle parcourt le poulet :
    Ma chère Blanche, pardonne-moi de n’être pas venu te féliciter. Ma mère m’accompagnait. Tu as été un astre. Je pars demain en Bourgogne. Je ne pense qu’à toi. À mon retour, je t’enlèverai. Je t’aime, Charles.
    Écarlate, Blanche dénoue le ruban du colis. À l’intérieur, un recueil de Contes et nouvelles de La Fontaine.
    — Quelle tendre intention ! Voilà quelqu’un de raffiné.
    — Qui t’envoie ce livre ? Un de tes soupirants, je suppose ? grimace Antoine.
    — Un inconnu, sourit Blanche.
    — S’il est inconnu, pourquoi t’empourpres-tu ?
    — Je suis flattée, voilà tout, tranche Blanche qui fourre le volume et la lettre dans son sac, se couvre d’un châle et quitte la loge.
    Antoine l’accompagne jusqu’au carrosse de Ninon. Il insiste pour qu’elle soupe avec lui. Blanche l’embrasse sur les deux joues.
    — Une autre fois.
    Deux silhouettes noires se cachent à peine derrière un pilier. Blanche ignore qu’il s’agit de ses demi-frères, Augustin et Benoît de La Motte. Venus assister à L’Amour médecin , ils ont découvert leur sœur bâtarde sur les planches. Pour eux, elle est bien la fille de sa mère : une scandaleuse.
     
    Rue des Tournelles, Blanche lit et relit le billet de Charles. Elle imagine le château des Longueville, les chasses, les réceptions. Il n’a pas oublié nos baisers à l’hôtel Guénégaud. Tiendra-t-il ses promesses ? Est-ce une figure de style, lui qui aime tant les mots ?
    Un après-midi d’octobre, Ninon la surprend plongée dans le recueil de La Fontaine.
    — Où as-tu trouvé ce livre ? Mon ami La Fontaine n’en a publié que quelques exemplaires.
    Blase l’interrompt. Il porte un courrier. Un pli de justice. Ninon s’isole pour le lire.
    Nous, Augustin et Benoît de La Motte, frères de Blanche de La Motte, en vertu du contrat de reconnaissance de filiation signé par notre père le 4 janvier 1652, l’avons inscrite au couvent des Bénédictines de Saint-Jean où elle est attendue sous huit jours, faute de quoi nous serons obligés de prendre les mesures nécessaires afin d’appliquer cette décision qui l’abrite des tentations et de la corruption dans laquelle vous la plongez. Vous exercez une influence des plus néfastes sur elle. Nous ferons ce qui est en notre pouvoir afin de lui interdire d’exercer ce métier de comédienne qui souille l’honneur de notre famille.
    Ninon blêmit. Les frères La Motte sont des aigris, des bons à rien. Dès son mariage avec La Motte, Émilie se méfiait des enfants du premier lit de son mari : elle était jolie, trop jolie, avait leur âge. À la mort de leur père, elle avait prévu de leur révéler l’existence de Blanche devant notaire : elle fut déboutée , expulsée. Ces malfaisants craignent-ils que la petite se répande et dénonce les malheurs de leur mère ? redoute Ninon qui se résout à la prévenir.
    — Ma chérie, j’ai une mauvaise nouvelle à t’annoncer. Tes frères m’ont écrit.
    — Que me veulent-ils ?
    — Ils exigent que tu entres au couvent.
    — Tu veux rire ? De quoi se mêlent-ils ? Ils n’ont jamais rien fait pour moi et, maintenant, ils se permettent de me dicter leur loi.
    — Si nous ne répondons pas sous huit jours, ils aviseront. Je vais écrire à ton frère, Guillaume. Il te défendra.
    — Guillaume ! J’aimerais tant le connaître.
     
    Le délai expire. À six heures du matin, deux huissiers se présentent :
    — Par ordre de monsieur Dreux d’Aubray, magistrat au Parlement de Paris, nous venons quérir mademoiselle Blanche de La Motte.
    Ninon file à la cuisine secouer son laquais :
    — Blase, mon bon Blase. À toi de jouer.
    Blase enfile une jupe, des escarpins, une perruque, se poudre, se dandine devant les huissiers. Svelte, les traits fins, un peu large du bassin, il ressemble à une fille,