La Revanche de Blanche
tragédie sans relief. Au final, une volée de tomates et de pommes pourries atterrit aux pieds de Jean-Baptiste qui fait mine d’en rire. Ninon entraîne sa filleule dans la loge du comédien. Prostré, la tête entre les mains, il martèle :
— J’ai été trahi par Racine ! Alexandre a été joué ce soir chez madame d’Armagnac par Floridor et la bande de l’hôtel de Bourgogne. En même temps que nous ! Devant le roi, Monsieur, Madame et la Cour ! Quand je pense que j’ai été le premier à lui faire confiance : je lui ai présenté Boileau, La Fontaine, Chapelle. J’ai mis en scène sa Thébaïde. Il avait écrit Alexandre pour Marquise Du Parc dont il est tombé amoureux. Elle m’a caché qu’elle répétait avec lui. Nous avons travaillé ensemble, inventé des costumes, la mise en scène. Racine notait les inflexions, les déplacements. Tout ! Un traître, un voleur ! Nous sommes brouillés à jamais.
— Qu’allez-vous faire ? se soucie Blanche, déçue que Racine puisse se comporter avec tant de bassesse et que Marquise ait osé mentir à son cher Molière.
— Tout arrêter, se désespère Poquelin. Fermer le théâtre. Me pendre peut-être. L’ Alexandre de Racine va être repris à l’hôtel de Bourgogne. Ce faquin colporte que nous sommes incapables de jouer la tragédie.
— Personne ne croira ces ragots, s’indigne Ninon. Les Grands Comédiens déclament à l’ancienne ; leur jeu reste figé, froid, poussiéreux. Tes acteurs sont tendres, vivants, vrais ; on y croit, on est touchés.
— Pardonnez-moi, j’ai besoin de silence, dit tout bas Molière.
À bout, il tombe malade, une fluxion doublée d’une profonde dépression. Blanche et Ninon se précipitent à son chevet. Madeleine Béjart les prévient : Jean-Baptiste ne veut voir personne.
Les fêtes de fin d’année se préparent.
Sentant sa fin arriver, Anne d’Autriche se réfugie dans la prière. Le jus de pavot ne la soulage plus. Elle aurait voulu mourir au Val-de-Grâce, le roi l’a fait reconduire au Louvre, son sein tailladé badigeonné d’eau de chaux. Louis appréhende les reproches de sa mère. Elle ne cesse de blâmer ses infidélités, son goût trop prononcé pour les plaisirs, les fêtes tapageuses, la danse, la comédie, « des divertissements contraires à la religion ».
Obligée de partir pour Poitiers où sa mère, Diane de Grandseigne, se trouve, elle aussi, au plus mal, Athénaïs se languit du roi, de plus en plus empressé. Pieuse et charitable, Diane a jeté un voile sur la liaison de son mari, Gabriel de Rochechouart, marquis de Lussac et Vivonne, seigneur de Mortemart et prince de Tonnay-Charente – un nom prestigieux avec pour devise : Avant que la mer fût au monde, Rochechouart portait les ondes . Ce paillard lui a fait une portée de marmots, ce qui ne l’empêcha pas de s’enticher d’une belle veuve : Mme Tambonneau, vingt ans de moins que lui. Élevée à l’ombre des cornettes de Saintes, Athénaïs a quitté le couvent à dix-huit ans. Une éducation sans relief – lecture, prière, danse, couture, l’art de tourner les phrases – n’a pas gâté son esprit piquant en diable et son sens inné de la plaisanterie, aux lisières de l’insolence.
Le roi et Athénaïs perdent leur mère à quelques jours d’intervalle. Le 20 janvier 1666, Anne d’Autriche est à l’agonie. Louis attend dans son antichambre. Quand on lui annonce sa mort, il s’évanouit. Un conseiller tente de le réconforter : « Ce fut une grande reine. » Louis a ce mot : « Non, monsieur, plus qu’une grande reine, un grand roi. »
L’hiver a saisi Paris. La mort d’Anne d’Autriche repousse encore les débuts de Blanche à la Cour. Le deuil durera jusqu’aux jours gras. Blanche vient d’avoir quinze ans. Longue et fine, elle a acquis un maintien, des manières et pratique avec élégance cette langue aux mille finesses qui fait les délices des salons du Marais. Ninon lui a commandé des robes de princesse chez son tailleur. En février, une invitation est livrée rue des Tournelles.
Nous, Marie-Thérèse d’Autriche, reine de France, serions heureuse de recevoir mademoiselle de La Motte pour les fêtes du Carnaval, le 6 mars 1666, au Palais-Royal. Nous nous réservons de donner notre accord à ce qu’elle entre à notre service en tant que demoiselle d’honneur. Si Blanche de La Motte convenait, nous lui autoriserions à jouer dans la Troupe
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