La Revanche de Blanche
Grisée par les ors et les lustres, les toilettes des dames, le sourire du roi, l’amitié d’Athénaïs, elle se recroqueville dans son lit humide et froid : je veux jouer, jouer encore, vibrer, être applaudie, reconnue.
À demi endormie, elle serre son inséparable Pandore dans ses bras en pensant à Charles. Viendra-t-il au Palais-Royal ?
Au matin, les carrosses sont chargés. En route pour Paris.
À l’hôtel de Sagone, Ninon l’accueille à bras ouverts, elle veut tout savoir.
— Tout est beau, là-bas ! s’emballe Blanche qui délaye son séjour avec mille détails. Athénaïs m’a laissée entendre que je pourrais devenir demoiselle d’honneur de la reine. Une charge qui, d’après elle, me permettra de continuer à faire du théâtre : Molière me garde ! Je suis si contente !
— Tant mieux ! Quant à la proposition d’Athénaïs, ne rêve pas. Être suivante est un privilège. Es-tu sûre que ce n’est pas une promesse en l’air ?
— Athénaïs a beaucoup d’influence sur le roi, beaucoup d’aplomb aussi. Elle m’a confié qu’elle se méfiait d’Aglaé de Bouillon.
— Ne te mêle pas des intrigues de Cour, ma chérie. Elles se retourneraient contre toi.
Le 17 septembre, La Gazette du jour annonce la mort de Philippe IV d’Espagne, le beau-père du roi. Ce deuil qui accable la Cour, surtout Anne d’Autriche, ne permettra pas à Athénaïs de proposer à la reine, Marie-Thérèse, une nouvelle suivante avant les beaux jours. Blanche ne s’en soucie guère. La scène l’attend.
Une semaine plus tard, elle se rend au théâtre du Palais-Royal. Vingt-cinq représentations de L’Amour médecin et du Favori y seront données. La foule se presse. La première a lieu ce soir. Molière y a prié le « gratin ». Une manière de remercier ceux qui l’ont accueilli à l’hôtel de Rambouillet et à l’hôtel d’Albret. En coulisses, Blanche enfile sa robe rouge, son tablier de coton blanc. Elle se farde de céruse, pose une mouche sur sa joue droite. Au parterre, le public siffle, tape du pied, se bouscule. Rien à voir avec l’ambiance feutrée de Versailles. Le rideau va s’ouvrir. Sa respiration s’accélère, ses muscles se tendent. La Grange commence son compliment.
— C’est à toi ! Dépêche-toi, lui lance Catherine de Brie.
Blanche entre en scène. Face à elle, un grand trou noir. Terrorisée par les mille regards qu’elle devine, elle se fige. Le souffleur crie : Monsieur, laissez-moi faire, je m’en vais la sonder un peu . Les pieds gelés, Blanche fixe Molière qui improvise, meuble, blague, gesticule. Un gamin s’écrie : « Donne-lui des coups de bâtons. » Un vieux gâteux radote : « Remboursez ! » Blanche reprend ses esprits. Elle redevient Lisette, câline, serpentine. Sa fraîcheur, sa jeunesse l’emportent. Sous le charme, un groupe de garçons la siffle. Ses yeux s’habituent à l’obscurité. Dans la loge d’honneur, Charles est là, à côté de sa mère dont l’expression sévère la glace. Derrière la grille de sa loge, Arsinoé de La Tour, sa fille, Charlotte et Aglaé. Blanche redouble d’ingénuité.
Aux applaudissements, la foule acclame Armande, La Grange et Molière. Lully et Beauchamp ébauchent quelques dernières arabesques. Blanche n’a qu’une hâte : revoir Charles. Elle se change, se glisse parmi les spectateurs qui sortent du théâtre. Longue silhouette noire, Arsinoé tousse à perdre haleine et crache du sang sur le trottoir. Avant d’être vieille, elle a dû être belle, se dit Blanche. De quoi parlaient-ils quand mon grand-père la mignonnait ? La dépaysait-il en évoquant les landes tachetées d’ajoncs, les tisserands, les naufrages, les aléas de sa taverne ? Deux laquais soulèvent la comtesse qui s’affaisse sur la banquette de sa chaise en brandissant sa canne.
Déçue de ne pas trouver Charles, Blanche regagne sa loge, une niche où elle a à peine la place de bouger. Elle allume une bougie, essuie son fard. La porte s’ouvre. Antoine lui tend un bouquet de roses, lui baise le bout des doigts. Elle berce les fleurs, les pose sur sa coiffeuse, murmure un merci. Il l’invite à souper à La Taverne du Roi René. Blanche secoue ses boucles noires : elle aime bien Antoine, mais elle le trouve un peu lourd, trop coincé dans son costume d’élève officier de marine. Avec lui, elle sait qu’elle peut jouer les coquettes, il reviendra toujours.
— Je boirai un
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