La Revanche de Blanche
espagnol, plaisante la marquise en prenant la main de la jeune fille.
Alors qu’elles quittent la salle de bal, le roi s’approche de son frère :
— Monsieur, je trouve que vous fréquentez un peu trop madame de Montespan.
— N’a-t-elle pas assez d’esprit pour m’amuser ? N’êtes-vous pas un peu jaloux ?
— Pas le moins du monde. Elle fait ce qu’elle peut, mais, moi, je ne la veux pas, tranche le roi.
Accompagnées des autres suivantes, dont Bonne de Pons, frêle Ophélie de dix-sept ans, Athénaïs et Blanche se dirigent vers les appartements de Marie-Thérèse. Dans les dédales du palais, Blanche craint de gaffer, de ne pas être retenue.
— Je ne me voyais pas croupir en Gascogne avec ce bonnet de nuit de mari, lui confie Athénaïs. Il boit comme un trou, s’emporte pour un rien. Un rabat-joie. N’oublie pas : trois révérences, le cou droit dans l’alignement du dos.
— Louise ne vient pas avec nous ? s’étonne Blanche.
— Madame l’a congédiée, la reine l’ignore. Je la plains d’être la favorite. Si j’étais assez malheureuse pour que pareille chose m’arrivât, je me cacherais pour le reste de ma vie.
Dans l’antichambre de la reine, Aglaé bouscule Blanche écrasant au passage le bout de son escarpin.
— Rien ne sert de courir, il faut partir à point, l’aiguillonne Athénaïs.
Les jeunes filles en fleurs entrent dans la chambre de Marie-Thérèse : poutres peintes, rideaux pourpres et meubles marquetés. Devant un feu, entourée de six petits chiens qui jappent, la reine dit son chapelet :
— Venez, niñas, et racontez-moi la soirée.
Après une révérence marquée, les suivantes se regroupent dans la ruelle. Aucune d’elles n’est duchesse et n’a droit à un tabouret.
— Che donc cette pequeña, poco pâlichonne, la nouvelle demoichelle, la comediante ? ânonne Marie-Thérèse.
Un chiot vient lécher les pieds de Blanche.
— C’est bon signe : vous êtes admise, mademoiselle.
Blanche s’incline, deux fois de suite. La mine faussement indignée, Athénaïs pérore :
— Majesté, les pâtés, ce soir, étaient tièdes et croustillants jusqu’à ce que la froideur de mon mari ne vînt les glacer. Il a souhaité me faire honte devant Monsieur en manifestant une jalousie irraisonnable.
— Amusant ! Donnez-moi votre lapin, mademoiselle de La Motte : nous allons en faire un civet, ordonne la reine à Blanche qui, l’air de rien, rabat le couvercle de son panier d’osier.
8
Vers dix heures du soir, la reine s’endort. Aglaé, Athénaïs et Blanche s’éclipsent sur la pointe des pieds. Elles ont décidé de retrouver Louise chez elle. Depuis l’été dernier, la favorite a quitté le palais Brion, revenu à l’Académie royale de peinture et de sculpture, pour s’installer dans un hôtel particulier près des Tuileries, en face de la rue de l’Échelle. Le cramoisi des rideaux assorti aux housses des fauteuils en noyer donne une touche chaleureuse au salon orné de tapisseries de Bergame. Louise a fait ajouter des pliants de damas jaune, des coussins de velours vert : « Il faut toujours trois couleurs dans une pièce », aime-t-elle à dire.
C’est ici, entre deux rendez-vous, que le roi lui rend visite. Tard dans la nuit, il se colle à son corps tiède, lui parle, la caresse. Louise lutte contre le sommeil, se réchauffe, s’abandonne. Pour lui, elle a tout supporté : elle l’aime, d’un amour désintéressé. Ne vit que pour ces baisers volés. Le roi la protège, la rassure. Dame de cœur, mère de deux de ses fils, elle garde les secrets, le valorise, lui donne la force d’affronter ses ministres, son épouse. Fascinée par l’intelligence et l’autorité de son amant, Louise s’attendrit : le roi est doux, attentif, musicien. Ensemble, ils fredonnent des pastorales, s’accompagnent à la guitare, s’amusent à rédiger des bouts rimés, causent théâtre, histoire, romans.
La jolie Tourangelle a perdu son père, le pieux Laurent, seigneur de La Vallière, en 1651 : il avait quarante ans. Sa mère, Françoise Le Provost, pratique et sèche, épousa un veuf bourru, père d’une fille de son âge. La famille s’installa à Blois, à la cour de Gaston d’Orléans. Demoiselle d’honneur de la reine, Louise venait d’avoir dix-sept ans lorsqu’elle tomba amoureuse de Louis, vingt-deux ans. C’était l’été, il y a quatre ans. Le roi était élégant, charmant. Un soir, à
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