La Revanche de Blanche
femmes.
— Quel plaisir de vous revoir monsieur l’abbé ! sourit Athénaïs dont les longues dents blanches brillent. Connaissez-vous mademoiselle de La Motte ?
— Nous avons eu le plaisir de converser chez madame du Plessis-Guénégaud. Que voilà un joli lapin, mademoiselle ! s’exclame Charles en baisant la main de Blanche. M’accorderiez-vous la prochaine danse, bergère sans berger ?
Blanche baisse la tête. Par chance, Charles n’a pas fait allusion à leurs retrouvailles dans le cabinet rouge. Il saisit son bras. Elle confie son panier à un laquais et s’élance dans un tourbillon en s’efforçant de suivre la cadence.
— Un-deux, un-deux, laisse-toi porter. Je meurs d’envie de t’embrasser, lui susurre-t-il.
— Pourquoi Athénaïs t’appelle-t-elle monsieur l’abbé ?
— À douze ans, le roi m’a nommé abbé commanditaire de l’abbaye de Saint-Étienne de Caen. Mes parents se sont montrés très généreux envers les religieux ; j’ai résilié mes fonctions l’an dernier. J’hésitais entre le rouge et le noir ; j’ai choisi le rouge. Chevau-léger, je pourrai accompagner le roi dans ses campagnes. La guerre des Flandres risque de se rallumer. Allons au jardin…
— Il fait froid, ce serait imprudent, minaude Blanche qui se souvient des conseils de Ninon.
— Nous sommes amis, ne crains rien, Ma mère fut proche de la tienne, l’apaise Charles en l’entraînant sur la terrasse.
— On dit que la duchesse de Longueville a eu une vie fascinante.
— Ma pauvre maman ! Elle a été fiancée à six mois au fils aîné du duc de Guise. On la maria à douze ans à Henri II d’Orléans. Il était veuf, il avait le double de son âge, elle ne fut pas heureuse. Elle n’aimait que ses frères, mon oncle, le Grand Condé et Conti. Elle s’est engagée à corps perdu dans la Fronde et a fini par convaincre Condé de se rallier à la cause de Retz. Elle était folle amoureuse de mon père, La Rochefoucauld, qu’elle trompa avec Nemours. Quand le roi l’a exilée, elle a sombré dans la mélancolie, avant de se tourner vers les idées jansénistes. Maintenant, elle se voue à l’abbaye de Port-Royal, déplore Charles en glissant sa main à la naissance des seins de Blanche.
— On risque de nous voir, gémit-elle.
— Ma chérie, tu seras à moi, je serai le premier, déclame-t-il, tragi-comique.
Les joues en feu, Blanche file vers le salon sans se retourner. Devant un buffet monumental où voisinent pièces montées, pyramides de gâteaux, surtouts en argent ciselé, Monsieur caresse les épaules d’Athénaïs d’une main chargée de bagues. Blanche attrape une pâte de fruits. Le Montespan fend la foule, droit vers son épouse.
— Ah ! Je vous surprends, ma chère ! s’écrie Louis-Henri de Pardaillan, en tirant sa femme par la manche.
Ennuyée qu’Athénaïs soit obligée de partir, Blanche s’apprête à protester lorsque Monsieur s’interpose :
— Un peu de tenue, monsieur de Montespan. À quoi jouez-vous ?
— Permettez, je viens chercher ma femme ! Athénaïs, nous partons pour Bonnefont jusqu’à l’Ascension. Ce séjour et le grand air vous permettront de laisser aux oubliettes ces manières fort incongrues chez une femme mariée.
Athénaïs jette un regard malicieux au frère du roi. Gênée, Blanche recule, grignote un macaron. Monsieur claque des doigts : un valet tend une tasse de chocolat au Montespan :
— Cette boisson qui nous vient des Amériques apaise, paraît-il, les humeurs. Peut-être préférez-vous du vin de Champagne ? On dit que vous avez quelques soucis d’argent.
Louis-Henri boit d’une traite un verre, puis deux :
— Ma femme mène grand train et je ne vous dis pas ce que me coûte mon armure pour combattre les Barbaresques.
— Ne vous faites aucun souci. Nous allons arranger cela, le rassure Monsieur d’une voix suave. Ce ne sont que bagatelles. Ne soyez pas aussi chagrin : votre épouse fait ici son devoir auprès de la reine. Accordez-moi la grâce de la laisser à Paris jusqu’au mois de mai. Sans cela, je serais fort piqué. Je me porte garant de sa loyauté, de son honneur et de sa probité.
— Puisque vous insistez… ronchonne le Gascon en s’éloignant, défait.
Un valet prévient Athénaïs : il est l’heure du coucher de la reine.
— Allons-y, Blanche, je vais te présenter. La reine n’aime pas danser, elle a préféré assister à l’office et prier en
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