La Revanche de Blanche
chanoinesses sur la butte de Chaillot. Je me suis évanouie dans le parloir. Louis est venu me chercher. J’ai tout confessé : leurs rendez-vous, leurs échanges de lettres…
— N’êtes-vous pas au courant des derniers rebondissements de l’affaire de la lettre espagnole ? lance Athénaïs, mine de rien.
— Ne m’en parlez pas, s’attriste Louise. Il y a quatre ans, une lettre anonyme, rédigée en espagnol, révélait ma liaison à la reine. Sa duègne pensa que ce courrier était porteur de malheur, le montra à Louis. Fou de rage, il mena une enquête. Faute de preuves, l’affaire fut classée. Depuis que Vardes a tenté de séduire Henriette, Olympe la hait.
— Chacun a des raisons de vous nuire, ma pauvre Louise. Tous complices, se pique Athénaïs.
— Vous vous trompez, insinue Aglaé. Olympe a remis au roi la correspondance secrète de Guiche et d’Henriette. Guiche y étrille Louis, le traite de fanfaron, d’avare, se vante de lui faire ployer le genou. Ce sont eux les auteurs de la lettre espagnole.
— Ces insultes ne prouvent rien, affirme Louise. Henriette vient de donner des preuves à Louis : Vardes et Olympe seraient les coupables. Cela ne m’étonne guère : il y a deux ans, la Mancini a été dire à la reine que j’étais la maîtresse du roi.
— Vous serez bientôt débarrassée de ces vautours, ma douce, la rassure Athénaïs.
Renfrognée, Aglaé se noue les doigts.
— Mesdemoiselles, il est temps de rentrer, intime Louise. Le roi pourrait bien passer.
Le roi est chanceux d’avoir auprès de lui une femme qui le protège des traquenards, se dit Blanche en s’inclinant devant Louise. Aglaé se courbe légèrement. La Montespan embrasse la favorite sur les cheveux et propose à Blanche de dormir dans son lit.
Sa chambre mansardée donne sur les jardins. La garde est relevée, un cheval saillit une jument. La lune s’en régale. À la lueur de la chandelle des poètes, les amies se confient.
— Louise est naïve : j’ai fait exprès qu’elle parle des derniers coups bas d’Olympe et d’Henriette devant Aglaé. Méfie-toi de la Bouillon. Cette garce trame pour avoir de l’influence sur le roi. Pour prendre ma place. Très proche de la Mancini, elle lui rapportera notre conversation. Demain, trouve-toi dans sa chambre et cache-toi derrière les rideaux. Je suis sûre que ces deux vipères vont mordre.
— Et si elles s’aperçoivent de ma présence ? s’affole Blanche.
— Ne t’inquiète de rien : tu es si menue. Dis-moi, je vous ai vus sur la terrasse, Charles et toi. Serais-tu amoureuse de lui ?
Blanche rougit. Athénaïs prend un écu :
— Si c’est pile, tu l’aimes.
Elle lance la pièce qui retombe… pile.
— Montre-moi les lignes de ta main… Laisse-toi faire. Je vois… Serais-tu la femme de plusieurs amours ?
Blanche se glisse sous les couvertures. Athénaïs caresse ses épaules, pose un baiser sur son front brûlant. Impossible de fermer l’œil. La promesse de Charles trotte dans sa tête. La mission que lui a confiée Athénaïs l’angoisse. Elle devine chez la marquise une détermination doublée d’une capacité à nuire pour qui lui résisterait. Mais n’est-elle pas sa débitrice, comme le lui a rappelé Ninon ? Avant de s’endormir, elle finit par se résoudre, pour lui faire plaisir, par reconnaissance. La cloche de la chapelle sonne deux heures du matin.
Le lendemain, une femme de chambre réveille les jeunes femmes. Athénaïs dévore des tartines beurrées. En chemise, les cheveux défaits, elle est encore plus belle qu’en Persane.
— Il ne faut pas que nous soyons en retard pour la promenade de la reine, s’active la Montespan qui passe son visage à l’eau. Tu t’éclipseras un moment et tu attendras Aglaé, comme prévu. Viens, je vais te montrer où se trouve sa chambre.
Blanche enfile une robe bleue prêtée par Athénaïs, la suit le long d’un couloir, se repère. Les jeunes filles retrouvent Aglaé, Bonne et les autres. La reine apparaît. La petite troupe l’accompagne dans les allées de buis dont l’odeur acre étourdit Blanche. Près d’un bassin, elle se détache du cortège et gagne les appartements d’Aglaé. Derrière de lourds rideaux de taffetas jaune, elle guette la fin de la sortie au grand air de la reine. Aglaé ne tarde pas. Une femme mûre, long visage fermé, boucles auburnes flottant sur une poitrine grasse, la rejoint. À son accent italien, Louise
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