La Revanche de Blanche
amie Ninon. L’idée de l’abandonner une deuxième fois me fend le cœur. Nous reviendrons le plus vite possible et nous vivrons tous les trois, comme tu le désirais. J’espère pouvoir me jeter dans tes bras sur les rives du Saint-Laurent avant les premières froidures.
Je t’aime.
Ton Émilie .
La mer est grosse. Émilie ferme les persiennes, enfile une chemise de nuit, s’allonge dans le lit bassiné, la lettre de Ronan sous son oreiller.
Au réveil, elle s’empresse d’écrire à Ninon. Leur amitié est faite de connivence, de sensualité. Après le déshonneur, alors que tout s’écroulait, la courtisane fut la seule à la soutenir. Mère d’un garçon de sept ans, l’âge de Blanche – Antoine de La Boissière, fruit de ses galipettes avec le marquis de Villarceaux –, la marraine de la petite aura à cœur de prendre soin d’elle. Émilie la prie de recevoir son fils, Guillaume. En pension chez les jésuites, elle aimerait qu’il protège sa sœur. Blanche porte le même nom que lui. La Motte avait ordonné que « l’enfant du péché » disparaisse, mais il avait accepté de la reconnaître. Avant d’être enfermé au donjon de Vincennes, il avait même accepté qu’elle passe Noël sous son toit. Dans un sursaut de générosité, le prisonnier avait confié au cardinal de Retz le souhait qu’Émilie hérite du château de Cormatin. Peine perdue : Augustin et Benoît, rejetons de son premier lit, mirent leur veto. Un matin, les huissiers toquèrent rue de Beauce…
La réponse de Ninon ne tarde pas.
Ma tendre amie,
Ta longue lettre m’a réjouie, plus que tu ne l’imagines. Tu as bien fait de patienter, de refuser la proposition de Louis Le Gallo, ce vieux cochon. Je n’aurais pas eu ta patience. Je comprends ta hâte de rejoindre Ronan. Je crains pourtant que les mers dangereuses ne te soient fatales. Puisque tu es résolue, ne te fais aucun souci, je serai une seconde mère pour Blanche. Je lui apprendrai à jouer du luth, je l’emmènerai au théâtre, elle suivra les enseignements de monsieur Joyeux, le précepteur d’Antoine. Dans les salons, ces messieurs raillent le jargon et la pudibonderie des Précieuses avec un plaisir non dissimulé. Plusieurs pièces, Le Cercle de femmes, de monsieur Chappuzeau ou Les Précieuses, de l’abbé de Pure, ridiculisent nos vieilles amies devenues des jansénistes confites en prières. Mon ami, Molière, qui cherchait un sujet à succès s’en est inspiré pour écrire une pièce assez salée. Ce sera notre revanche. Nos dévotes se veulent des mères la morale. La comtesse du Plessis-Guénégaud a colporté des rumeurs sur moi auprès de la Compagnie du Saint-Sacrement. On m’a cloîtrée au couvent des Madelonnettes. Les religieuses se sont montrées indulgentes. Elles ont tenté de me faire entrer dans leur ordre. Renoncer au plaisir ? Plutôt mourir ! Trois mois après mon arrivée, Catherine de Suède est venue me rendre visite et m’a libérée. Bénie soit-elle. J’ai vite repris mes habitudes : je ménage mes payeurs, je rudoie mes caprices qui en redemandent. Figure-toi que notre petite protégée, Françoise Scarron, reçoit le Tout-Paris dans son logis que je surnomme l’hôtel de l’Impécuniosité. On s’y amuse beaucoup ! Ma Beauté, prends soin de toi. Je te confie à Dieu afin qu’il te préserve des maladies et des dangers. Je me réjouis d’accueillir ma filleule, elle sera notre petite reine.
Avec tout mon amour.
Ninon.
Orage sur Douarnenez. L’officier de la Compagnie des Indes a inscrit Émilie sur la liste des passagers en partance pour la Nouvelle-France. Le bateau amiral, Le Saint-Joseph , lèvera l’ancre à Dieppe fin août. Dans trois semaines. Elle a chargé sa vieille amie, Guénolé, de veiller sur le manoir, a préparé Blanche, lui a parlé de Ninon, des marchands de gaufres de la place Royale, des manèges des Tuileries, des montreurs d’ours du Pont-Neuf… Agrippée aux jupes de sa mère, la petite fille s’est bouché les oreilles en chantant à tue-tête. Émilie attend la nuit pour ranger ses affaires. Impossible de retarder davantage l’annonce du départ.
Enfermée dans son lit clos, Blanche berce sa poupée, Pandore. Finaude, elle sent tout, voit tout. Elle a remarqué la malle contre le mur, pointe son museau.
— Tu vas partir, maman ? Sans moi ?
Émilie s’accroupit près d’elle :
— Ma chérie, il va falloir être raisonnable. Je t’aime, mais je
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