La Revanche de Blanche
Bouillon.
Quelques minutes plus tard, elle jette un regard en coin à Aglaé. D’un air dégoûté, la rouquine hèle un domestique :
— Donnez plutôt ces filandreux à madame de Montespan, elle en raffole.
Livide, Athénaïs fixe Blanche. À dix heures du soir, le roi entame une partie d’échecs avec Jean-François de La Vallière. Aglaé, Athénaïs et Blanche rejoignent la reine alitée depuis trois jours. Un de ses chiots lèche le mollet de la Montespan. Elle le repousse d’un coup d’escarpin. Le roquet aboie, comme un possédé. Marie-Thérèse renvoie ses demoiselles en les couvrant d’injures. Dans l’escalier, Athénaïs fulmine :
— Partie remise ! Je viens de prendre à mon service une nouvelle chambrière, Claude des Œillets. Elle a vingt-neuf ans, elle est la fille d’une comédienne de l’hôtel de Bourgogne et connaît bien la Voisin. Je lui confierai quelques missions…
— N’y a-t-il pas d’autres moyens de neutraliser Aglaé ? s’insurge Blanche.
— Je croyais que tu étais de mon côté… Ne me déçois pas. Je t’aime, tu sais, balbutie la marquise en s’accrochant à la rampe pour ne pas trébucher.
Dans son lit, Blanche ouvre son médaillon et caresse doucement la boucle de Charles. A-t-il été blessé ? A-t-il oublié nos baisers sous la langue du sanglier ? Que penserait-il de moi s’il savait ce que j’ai fait ?
14
Au château de Saint-Germain, seul le roi travaille. Une kyrielle de courtisans végètent, jouent au reversi, à la bassette, au hoca. Couverts de dentelles, de rubans, poudrés, mouchetés, ces petits messieurs se pavanent d’un salon à l’autre, exhibent leurs perruques blondasses, leurs haut-de-chausses de plus en plus bouffants. Coiffés, habillés, chaussés par leurs valets, ils ragotent, se séduisent, s’encanaillent avant de s’empiffrer. Blanche est au spectacle. Elle se lie avec Monsieur, toujours acoquiné avec le comte de Guiche. Le frère du roi s’inquiète de la santé de Molière qu’il protège. De sa voix suraiguë, il s’emporte contre la Compagnie du Saint-Sacrement, cette bande de dévots qui empoisonne la vie des artistes. Se passionne pour la peinture et la musique. Se vante d’avoir créé l’Académie de danse qu’il héberge au Palais-Royal. Blanche le prie d’aider son cher Jean-Baptiste à remonter Tartuffe . Monsieur promet en ajoutant qu’il fait toujours ce qu’il dit.
Des cors de chasse résonnent au fond des bois. Ce 3 novembre, un bal est donné à Versailles en l’honneur des chasseurs. Vêtue d’une superposition de jupes d’étamine nacrées, Blanche se plaît. Sur la terrasse, les invités babillent. Le roi a fait venir des Bretons, des Bourguignons, des Provençaux… Les nobles raffolent du folklore. Assise à côté de Madame, elle se bouche le nez : Minette empeste. Trois rangs derrière, Charles est là qui balaie l’assemblée du regard. Blanche agite son mouchoir ; il lui sourit. Très applaudis, les Bigoudens sont le clou de la soirée. Leur gaieté, leur énergie emballent la petite Bretonne. Le roi ouvre le bal avec Louise. Charles se faufile vers Blanche :
— Je suis venu pour toi, ma belle. Allons à l’intérieur, je n’ai pas envie que ma mère nous voie.
Sans qu’elle ait le temps de protester, il l’entraîne dans les dédales du château. Ils se perdent, ouvrent des portes, dérangent des couples, s’aventurent dans une tour, traversent des appartements où des vêtements mités s’empilent. Charles choisit une chambre bleue. La lune éclaire des meubles blonds, un miroir doré, un lit voilé de tulle. Dehors, les grandes eaux des bassins jaillissent. Sur le bord de la fenêtre, un pigeon roucoule. Main dans la main, ils avancent à petits pas vers le ciel de lit. Sur le sol, des escarpins rouges, une brosse à cheveux en laque, un châle blanc. Ses jupes en corolle, Blanche caresse les draps de coton doux. Charles enlève ses bottes, sa veste de chevau-léger. Le gris pâle de ses yeux, son bon sourire lui donnent quelque chose d’enfantin et de mûr, d’irrésistible.
— J’ai eu tellement peur pendant l’attaque de Dendermonde, murmure Blanche.
— Une déroute. Les canons tonnaient, les ennemis avaient ouvert les écluses de la ville. Les eaux débordaient. Nous avons dû battre en retraite. La guerre risque d’être longue. Tu as gardé ma mèche de cheveux ? s’étonne Charles en découvrant le médaillon au cou de
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