La Revanche de Blanche
début août, sous le nom de L’Imposteur, une menace d’excommunication pèse sur lui. Excédé par la cabale qu’il a rallumée, il a dû fermer son théâtre et ne prévoit rien avant l’année prochaine.
À la fenêtre de sa chambre mansardée, Blanche cherche le frais. Une harde de biches et de cerfs débouche de la forêt. Un mâle solitaire frotte ses bois contre un chêne. Des faons tachetés de blanc suivent leur mère. Un coup de feu retentit. Les animaux déguerpissent ; une biche s’effondre. Des chiens se ruent sur la bête. La cloche de la chapelle sonne six heures du soir. Blanche dévale les escaliers jusqu’à la chambre de Louise, grosse de neuf mois.
— Bonsoir Louise, avez-vous entendu le coup de feu ?
— Moi qui aimais tant la chasse, elle me dégoûte.
— Comment vous portez-vous ?
— J’ai les entrailles lourdes. J’attends la délivrance d’un jour à l’autre. Ce matin, le roi est parti pour une battue aux cochons à Versailles, avec Athénaïs. Ça lui fera du bien, elle est si divertissante.
— Il sera heureux de vous voir rétablie, la réconforte Blanche.
— J’aimerais que vous restiez ici jusqu’à mon accouchement. J’aurai besoin de votre soutien.
Bonne fille, Blanche lui rend visite tous les jours, lui récite ses répliques les plus corsées, lui parle de ce cher Baron, de cette satanée Armande…
Le 3 octobre, Louise accouche d’un fils, Louis, futur comte de Vermandois. Des musiciens étouffent ses cris. Le nourrisson est subtilisé, confié à une famille. Les mains sur le visage, la favorite fond en larmes. Blanche entoure ses épaules, l’aide à enfiler une robe parme, à se farder de rouge. Louise s’agrippe à son bras :
— Prévenez les courtisans que nous jouerons au lansquenet dans ma chambre ce soir.
Il ne fait pas bon être la favorite. Quel sort sera réservé à Athénaïs ? se demande Blanche alors que le roi et une ribambelle de dames reviennent de la chasse.
— Mon amie, vous êtes si courageuse, s’attendrit Louis en tapotant la joue de Louise.
— Ma chérie, que vous êtes pâle ! la plaint Athénaïs en lui baisant les cheveux.
— Nous avons pris deux marcassins, trois daims et force volailles, caquette Aglaé. Il faudra attendre que cette viande faisande.
— Cessez de pérorer, mademoiselle de Bouillon. C’est indécent ! persifle Athénaïs. J’ai toujours pensé qu’être roux était une dégénérescence de la nature.
Le roi rit, Aglaé verdit. Athénaïs avoue à voix basse à Blanche :
— Je n’en peux plus. Ses odeurs de rousse me dégoûtent. Retrouve-moi dans ma chambre.
Blanche la suit. Athénaïs ferme sa porte au verrou, ouvre un tiroir secret de son cabinet, en sort la fiole de la Voisin, fixe Blanche, ses yeux bleus dilatés :
— Aglaé ne va pas tarder à révéler à la reine ma liaison avec Louis. Il faut agir. Tout à l’heure, au souper, verse trois ou quatre gouttes de ce liquide dans une assiette destinée à la Bouillon.
— Tu es folle ! Je ne veux pas courir ce risque. Et puis, la potion a dû tourner…
— Ne t’en fais pas. Elle aura un peu mal au ventre, rien de plus. S’il te plaît, ma chérie. J’ai fait beaucoup pour toi… Je pourrais même favoriser tes liens avec mon ami Racine.
Choquée par cette façon de l’appâter, Blanche marmonne un « bon, d’accord » en se promettant de se limiter à une goutte. Athénaïs fait couler un peu du mélange bleuâtre dans un flacon de parfum. Blanche le cache dans sa bourse de velours perlé.
Le roi a invité Jean-François de La Vallière à souper. Le frère de Louise rentre des Flandres. Devant un gigot aux petits pois, Athénaïs l’apostrophe :
— On dit qu’à Lille vous vous êtes réfugié dans une grange. Seriez-vous un pleutre, monsieur, ou un mouton ? Cette viande saignante m’écœure. Veuillez me servir du poisson, ordonne-t-elle à un laquais.
En face d’elle, sa chevelure flamboyante piquetée de pierreries, Aglaé fait la moue :
— On dit que, sans viandes, les muscles deviennent flasques.
Athénaïs fait un signe de la tête à Blanche. Elle s’éclipse, se dirige vers une arrière-cuisine. Dès que les serveurs s’éloignent, elle verse deux gouttes de sa mixture dans une assiette de bouillon de légumes. Un valet maigrichon la surprend. Blanche lui tend un louis d’or, lui glisse à l’oreille :
— Vous porterez cette assiette à mademoiselle de
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