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La Revanche de Blanche

La Revanche de Blanche

Titel: La Revanche de Blanche Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Emmanuelle Boysson (de)
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rang, noblesse oblige. Sur scène, à la lueur des bougies, longue perruque et costume noir, Racine déclare à l’assemblée :
    — Bonsoir, majestés, altesses, princes et princesses, mesdames et messieurs. Ce soir, j’ai l’honneur de vous présenter Andromaque que je dédie à Madame. Votre Altesse royale, permettez-moi de m’adresser à vous. On savait que vous aviez daigné prendre soin de la conduite de ma tragédie ; on savait que vous m’aviez prêté quelques-unes de vos lumières pour y ajouter de nouveaux ornements ; on savait enfin que vous l’aviez honorée de quelques larmes dès la première lecture que je vous en fis…
    —  Minette serait-elle une grande sensible ? glisse Blanche à l’oreille de Charles.
    — Tu en doutais ? s’offusque-t-il.
    — Je sais beaucoup de choses sur elle qui ne sont pas à son honneur.
    — Eh bien garde-les pour toi, la rabroue Charles. L’honneur de ma famille ne saurait être flétri.
    Blanche pique un fard, s’en veut de s’être montrée trop impulsive, d’avoir gaffé. Chez ces gens-là, la discrétion est de mise. Ils ne se gênent pas pour se moquer des leurs, mais entre eux. Détestent que quelqu’un d’inférieur critique leur famille. Leur sang est bleu de morgue. Blanche ne sait comment se rattraper. Elle se tourne vers Charles. Il sourit. Tout va bien.
     
    Après les trois premières scènes jouées par Floridor, dans le rôle de Pyrrhus, Monfleury, dans celui d’Oreste, le public réclame Marquise Du Parc. Elle paraît enfin. Pâle et grave, elle déclame : Je passais jusqu’au lieu où l’on garde mon fils. Une diction claire, une voix ascendante, recto tono, soulignée par une gestuelle lente et gracieuse, sous l’excès de fard de l’actrice, on ne voit que les yeux brûlants de désir. Subjuguée, Blanche l’accompagne dans ses moindres soupirs, jusque dans ses silences. D’un geste las, Marquise désigne un lieu lointain : tous la regardent comme une déesse. Elle est inégalable. À de trente-deux ans, cette fille de saltimbanques a envoûté Racine. Il l’a découverte il y a sept ans dans Sganarelle ou le cocu imaginaire. Autant de grâces en un seul corps, presque trop, même pour un poète. Marquise conquise, il l’a formée, lui a appris à décliner le doux, le tendre. Elle a fait naître chez lui l’infini désir pour « celles qui demeurent inconnues ». Ensorceleuse, elle l’a guidé dans ce labyrinthe des passions où, sans elle, son âme se perdrait et la perdrait. À vingt-huit ans, comblé de gloire, adulé par la Cour, Racine éprouve pour elle un amour possessif et orageux.
    Non loin de Blanche, Georges Scudéry confie à Pellisson :
    — La Du Parc est une des meilleures actrices de son siècle. Son jeu a tant de charmes qu’elle peut inspirer toutes les passions feintes.
    Mme des Œillets, dans le rôle d’Hermione, fait son entrée. Cette actrice de quarante-six ans, mère de la nouvelle chambrière d’Athénaïs, n’a pas le talent de Marquise. Plus froide, plus fade, elle la met en valeur. Au fil des tirades de la Du Parc, la marquise de Sévigné pleure des rivières de larmes, Sapho se pâme.
    Racine sait mieux que quiconque exprimer ce que les femmes ressentent, ces sinuosités, ces pics, ces gouffres qui rythment les battements de leurs cœurs, songe Blanche qui atteint à l’extase ou presque. Ses tourments semblent se refléter dans cette version moderne des Troyennes d’Euripide où la volonté ne peut rien contre l’amour. Elle s’identifie à Andromaque, restée veuve et folle, inconsolable de la mort de son mari, Hector, tué pendant la guerre de Troie. « Un amour payé de trop d’ingratitude », dont Blanche pressent qu’il préfigure celui qui se dessine avec Charles. Elle se souvient de l’illumination qui l’avait bouleversée à treize ans, lors de la lecture d ’Alexandre , de sa rencontre avec Racine. Elle sait maintenant que son cœur vibre en harmonie avec ses vers .
    Droit dans ses escarpins, Charles garde son sang-froid. Portée par Andromaque , Blanche se surprend à rêver qu’il la demande en mariage. Elle s’imagine vivre à l’hôtel de Condé. On l’appellerait Mme la duchesse de Longueville ; elle aurait des gens, des lits d’amour pleins d’odeurs, de grands appartements, une garde-robe, les jardins du Luxembourg à ses pieds. On la respecterait, on l’imiterait, on la craindrait… Sa belle-mère finirait peut-être par s’en faire

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