La Revanche de Blanche

l’absence du roi, l’atmosphère se relâche. Entouré d’une grappe de godelureaux, Monsieur pérore :
    — La reine a la jaunisse. On dirait un coing. Attention, la tornade blanche arrive.
    En robe-manteau bordée d’hermine, Athénaïs martèle le parquet à pas saccadés.
    — Où vous croyez-vous, bande de fainéants ? tonne-t-elle. Même au pire moment de la décadence romaine, on se conduisait avec plus de panache. Un peu de tenue, Messieurs ! Ah ! Blanche, enfin ! Allons chez moi. Cette canaille débauchée me donne des haut-le-cœur.
    Dans l’antichambre de la Montespan, Claude des Œillets lorgne Blanche.
    — Je t’ai fait venir pour une cérémonie magique, avoue Athénaïs.
    Blanche se gratte la tête, fuit le regard de la Des Œillets :
    — Quel genre de cérémonie ?
    — Chut ! C’est un secret…
    La Des Œillets pointe son museau :
    — Le père Mariette et son ami arriveront à la nuit. Où pouvons-nous les accueillir ?
    — Dans l’appartement de ma sœur aînée : Gabrielle fait retraite à Fontevrault.
    La chambrière remet à Athénaïs une boîte de velours rouge.
    — J’introduirai ces messieurs par l’escalier de la tour, dit-elle avant de disparaître.
    — Qui est ce prêtre ? insiste Blanche, de plus en plus intriguée.
    — Le curé de Saint-Séverin dont la Voisin nous a parlé. Tu t’en souviens ? Il a, paraît-il, le pouvoir de convoquer les puissances des ténèbres.
    Piquée par la curiosité, Blanche n’est pas vraiment rassurée par cette liturgie peu catholique.
     
    L’heure sonnée, les jeunes femmes se dirigent à la bougie vers une aile désaffectée du château. Athénaïs frappe d’un heurtoir une porte en chêne. Le père François Mariette, grand, maigre, teint terreux, cheveux corbeau, leur ouvre. À ses côtés, son compère, Adam Cœuret, surnommé Lesage. Court sur pattes, épaules de cocher, mine sournoise, manteau de bouracan grisâtre, perruque rousse mitée, l’ancien amant de la Voisin, est un escroc de grand chemin reconverti dans la magie et la sorcellerie. Brouillé avec la chiromancienne, il s’est associé à Mariette. Rue de la Tannerie, dans une maison basse, les larrons se partagent deux traînées, la Boulard et la Leroux. Ils y ont attiré une partie de la clientèle de la Voisin, des femmes du monde, de préférence 1 .
    La pièce baigne dans des relents d’encens. Sur une table couverte d’un drap noir, deux cierges, une bible, des bougeoirs. Ventre à terre, Mariette se prosterne devant Athénaïs :
    — Madame, c’est un honneur de vous servir. Nous invoquerons pour vous les princes de l’amitié dont la puissance n’a pas d’égale. Veuillez noter vos vœux sur cette feuille afin que nous la tournions à votre avantage.
    Athénaïs s’exécute, invite Blanche à la suivre. Au moment où elle s’apprête à écrire, la jeune fille lit furtivement les mots de la Montespan :
    Nous voudrions obtenir les bonnes grâces du roi, la mort de mademoiselle de La Vallière ainsi que celle d’Aglaé de Bouillon.
    Blanche se glace. Athénaïs ne lui a jamais fait part d’un projet aussi mortifère. Elle ne lui a jamais dit qu’elle voulait la mort de sa « chère » Louise. Devinant sa stupeur, la marquise entoure ses épaules d’un bras protecteur :
    — Il faut parfois aider le sort, ma chérie. Forme ton vœu le plus cher, tu verras, ça marche.
    Que mon père revienne, que Charles m’épouse, que je venge ma mère et que je devienne une grande comédienne, écrit Blanche dont la plume crisse.
    Le prêtre renégat examine la lettre d’Athénaïs, méditatif :
    — Si je puis vous donner mon avis, madame, je suggérerais que vous vous contentiez de demander l’éloignement de mademoiselle de La Vallière. Exilée dans ses terres ou enfermée dans un couvent, ce sera tout comme.
    Athénaïs obtempère. Soulagée, Blanche se réjouit que ses prières soient recevables. Lesage réécrit le texte en l’ornant de formules sataniques. Mariette se vêt d’une étole et d’un surplis. Il asperge d’eau bénite les trois femmes, ferme les yeux et débite des incantations fumeuses accompagnées de moulinets de bras :
    —  Ortus refulget Lucifer.
    Il place ensuite L’Évangile des rois sur la tête d’Athénaïs, en lit un passage en latin.
    — À présent, madame, nous allons présenter votre offrande au Diable.
    Athénaïs lui tend la boîte rouge. À l’intérieur, deux cœurs de pigeon. Le