La Revanche de Blanche
longtemps d’être la deuxième jument de l’attelage ni de subir les affronts d’Aglaé.
— Si vous le permettez, madame, notre amie la Voisin m’a recommandé un abbé fort réputé que fréquentent les plus hauts dignitaires de l’Église et des gens de qualité, révèle d’une voix d’outre-tombe la Des Œillets.
— De qui s’agit-il ? Je ne souffrirai pas d’être à nouveau bernée, menace Athénaïs.
— De l’abbé Guibourg. Il est le chapelain de monsieur de Montmorency, au château de Villebouzin-en-Mesnil, près de Montlhéry. Ce prieur est un homme d’honneur et de foi. Vous pouvez en référer à monsieur Leroy, le gouverneur des pages de la Petite Écurie du roi ; il l’a sollicité plus d’une fois.
— Leroy est un crétin. En quoi cet abbé peut-il m’être utile ? tape du pied Athénaïs.
— Il dit des messes noires. Elles ont un pouvoir à nul autre pareil. L’abbé connaît aussi des plantes d’Italie et des recettes à base de poudre de crapauds et de chauves-souris, salive la Des Œillets. Il a réussi à débarrasser monsieur de Maupeou de son encombrante belle-mère, la marquise de Fouquières de son mari…
— Taisez-vous. Vous êtes tenue au secret, se fâche Athénaïs. Si d’aventure vous prononciez mon nom, je vous ferais brûler vive. Commandez une messe à votre abbé. S’il échouait, je lui ferais rendre gorge. Vous pouvez disposer.
La Des Œillets rampe vers la porte. Athénaïs enduit son visage d’un lait d’amandes douces :
— Ma Blanche, tu viendras avec nous, tu me rassures beaucoup.
— Je n’ai pas confiance en ces charlatans ; ils ne pensent qu’à nous soutirer de l’argent.
— La plupart des curés sont ainsi. Je t’en prie. Je dirai à madame de Longueville tout le bien que je pense de toi, promet Athénaïs. Le roi pourrait arranger les choses…
Blanche se ronge les ongles. Athénaïs lui a évité le couvent, l’a introduite à la Cour. Elle lui permet de côtoyer le roi, de lui plaire. Refuser de la suivre dans ses folies, n’est-ce pas prendre le risque de perdre son amitié, de tout perdre ? Ne faut-il pas donner des coups de pouce au destin, comme Ninon qui a bâti sa vie de toutes pièces ?
Aux premiers jours du mois de Marie, les trois femmes font route vers Montlhéry, à mi-chemin entre Paris et Orléans. Perché sur une colline verdoyante, le châtelet de Villebouzin ressemble à une propriété de famille. Un laquais les conduit dans une chapelle un peu isolée. La lumière des vitraux inonde le tabernacle d’une teinte bleutée. Derrière l’autel, un vieil homme en chasuble de soie noire brodée de pives dorées, visage lourd et vérolé, scrute ses ouailles d’un regard glauque. À ses côtés, un jeune sacristain boutonneux.
— Approchez, Mesdames, chevrote l’ecclésiastique. Selon vos volontés, vous allez participer à une liturgie à rebours. Inspirées des cérémonies de la Vaine Observance cathare, ces messes noires célèbrent le culte des ténèbres. Veuillez prendre place et suivre mes instructions à la lettre.
Linges, cierges et calice sont noirs. Les hosties ont été remplacées par des rondelles de radis noirs. Au pied de l’autel, dans un panier d’osier, un nourrisson dort.
— Ite missa est 2 , décrète l’abbé qui égrène une litanie de formules cabalistiques adressées à Isis Lilith, divinité démoniaque avec qui Adam fauta.
Guibourg invite la Montespan à lui confier son pacte. Cette fois, elle a rédigé de sa plus belle plume un parchemin qu’elle tend à l’abbé. Il se signe à l’envers, sonne l’heure du sacrifice. Claude des Œillets enlève la robe, le jupon, les bas et les escarpins de sa maîtresse. Nue, la Montespan s’allonge sur les dalles froides, les bras en croix, un cierge dans chaque main.
Blanche la trouve belle.
Guibourg couvre ses yeux d’un masque. Il pose un calice sur son ventre en scandant : « Vel daemonibus immolans, vel daemonia invocans. » Le sacristain tire le nouveau-né du panier. L’enfant se met à hurler. Blanche se bouche les oreilles. L’officiant saisit le bébé par les pieds, le maintient suspendu au-dessus du corps d’Athénaïs et lit ses vœux d’une voix solennelle :
— Princes des ténèbres, je vous conjure d’accepter ce sacrifice pour les demandes qui vont vous être faites : « Je, Françoise de Rochechouart de Mortemart, épouse Montespan, demande que la reine soit stérile,
Weitere Kostenlose Bücher