La Revanche de Blanche
que le roi quitte son lit et sa table pour moi, que j’obtienne de lui tout ce que je lui demanderai, que je sois chérie et respectée des grands seigneurs, que je puisse être appelée au conseil, que le roi quitte La Vallière et que, la reine répudiée, je puisse épouser le roi 3 . »
Le gringalet tire de sa ceinture deux couteaux, les affûte. D’un coup sec, l’abbé tranche la gorge du bébé. Blanche pousse un cri d’horreur. Un flot de sang jaillit, éclaboussant les seins d’Athénaïs. Guibourg remplit son calice. Une lueur d’excitation rôde dans ses yeux ; il ouvre les jambes de la Montespan, glisse ses doigts à l’intérieur de son sexe sanguinolent, le caresse avec délectation. Les yeux clos, la Des Œillets lape le ventre de sa maîtresse, puis elle sort de sa jupe une fiole, y verse un filet de sang. Le sacristain enveloppe l’enfant dans un linge noir et l’ondoie.
Athénaïs ôte son masque, se plonge dans une large bassine où sa chambrière la lave à grandes eaux avant de la frictionner d’une serviette de serge.
Le cadavre du nourrisson gît sur l’autel. Blanche détourne la tête, vacille. Elle ignore que le maître de cérémonie a payé le petit enfant un écu et qu’il a sacrifié, moyennant finances, quatre de ses propres marmots. Le prieur s’incline :
— Madame, dans un mois, nous célébrerons une autre messe selon le même rituel puis une troisième, chez la Voisin. Je vous donnerai de la poudre faite du cœur et des entrailles de l’enfant.
Athénaïs lui tend une bourse.
Dans la voiture, Blanche vomit par la fenêtre. Du revers de sa manche, elle essuie sa bouche, tente de surmonter son dégoût :
— Athénaïs, te rends-tu compte de ce que tu viens de faire ? Je ne me pardonnerai jamais d’avoir assisté à ce blasphème !
— Ne te mets pas dans ces états, mon petit chat. Ce rite nous vient de l’Antiquité. Depuis la nuit des temps, pour apaiser leur colère, on offre aux dieux ce qu’il y a de plus pur, de plus innocent. Le roi vaut bien une messe, noire ou blanche.
— Cette cérémonie nous conduira en enfer !
— Un lieu réservé aux petites gens ; les grands de ce monde bénéficient d’un régime de faveur. Il n’y a pas de quoi en faire une maladie.
Après un silence pesant, Blanche reprend ses esprits :
— Que vas-tu faire des cendres du bébé ?
— J’en mettrai un peu dans un dessert du roi et il ne pourra plus se passer de moi.
Pendant deux jours, enfermée dans sa chambre, Blanche ne mange que des pommes et des laitages. Un matin, Athénaïs lui annonce que le roi vient de signer, le 2 mai 1668, la paix d’Aix-la-Chapelle entre la France et l’Espagne. Une demi-victoire : la France conserve une douzaine de villes flamandes mais restitue la Franche-Comté. La marquise triomphe. Pour célébrer ce traité, Louis a décidé de donner, le 16 juillet, une fête inoubliable à Versailles. Elle lui sera secrètement dédiée. Colbert sera chargé du feu d’artifice ; le maréchal de Bellefonds, du souper ; Le Vau, de la construction d’une salle de bal ; le duc de Crépi, de celle d’un théâtre. Molière sera le maître d’œuvre d’un grand divertissement. Blanche reprend des couleurs ; elle veut à tout prix y participer.
Un après-midi ensoleillé, elle aborde le frère du roi qui batifole sur la terrasse avec Guiche :
— Bonjour, Monsieur. J’ai entendu dire que Molière allait présenter une pièce. Rien ne me ferait plus plaisir que d’y tenir un rôle.
— Aucun souci, ma jolie. À ma demande, il a écrit George Dandin ou le mari confondu et les Fêtes de l’amour et de Bacchus. Je lui parlerai de vous bien sûr…
Huit jours, plus tard, Monsieur lui annonce que Jean-Baptiste l’attend début juin pour les répétitions. Soulagée de quitter Saint-Germain, Blanche retrouve ses habitudes de jeune fille. Le souvenir de la messe de Guibourg s’estompe. Le livret de la pièce est arrivé à l’hôtel de Sagone : elle le dévore.
Au théâtre du Palais-Royal, dans le va-et-vient des comédiens, décorateurs et musiciens, Molière s’affaire. Blanche court vers lui. Il la prend par l’épaule :
— Ma chère enfant ! Tu vois, je suis à nouveau dans les bonnes grâces du roi. George Dandin me réjouit. Chacun va chercher à deviner qui est ce cocu. Je l’ai appelé Dandin pour faire pièce à Racine qui a nommé ainsi un de ses Plaideurs. Tu joues Claudine, la
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