La Revanche de Blanche

suivante d’Angélique qu’interprète Armande. J’espère que vous allez vous entendre. Nous offrirons au roi ce qu’il y a de plus beau.
    Il grimpe sur les planches, se lance dans une tirade où Dandin se lamente sur son sort d’époux floué. Désopilant. Dans le rôle du paysan Lubin, La Thorillière, lui révèle que Clitandre-La Grange, noble libertin, fait les yeux doux à sa femme, Angélique. Dandin voit rouge. Blanche est ravie : Jean-Baptiste a retrouvé sa gouaille, son humour satirique. Du grand Molière ! Son livret à la main, elle fait face à La Thorillière :
    —  Morgué ! Je t’aime .
    —  Tout de bon !
    —  Je me sens tout tribouiller le cœur quand je te regarde …
    Blanche se tord de rire. La Thorillière rougit jusqu’aux oreilles :
    —  Comment est-ce que tu fais pour être si jolie ? Viendrais-tu prendre un godet avec moi tout à l’heure, belle Blanche ?
    —  Ah ! Doucement, je n’aime pas les patineurs , lui réplique-t-elle reprenant les mots de Claudine.
    — Un peu de tenue, les enfants, morbleu ! les asticote Molière.
    Dans la scène qu’elle partage avec Armande, la Béjart se montre rigolote, bonne joueuse. Se serait-elle bonifiée ?
    — Le départ de Marquise nous a mis mal à l’aise, confie-t-elle. Elle n’a même pas daigné prévenir Molière.
    À l’idée de blesser, elle aussi, Jean-Baptiste, Blanche se sent un peu honteuse, mais le désir de jouer avec Racine la tenaille. Le duo d’actrices fonctionne. Fous rires, confidences : les comédiennes sont complices à la scène. Un bon début. Après la répétition, La Thorillière flatte et reflatte Blanche. Cours toujours !
    Au bout de trois semaines, la comédie prend fière allure. Lully finit d’orchestrer les parties chantées et dansées du spectacle couronné par un ballet avec chœur. Entre deux répétitions, Blanche évite de se trouver seule avec Ninon. Elle craint que sa marraine ne devine ce qui la ronge, les images des enfants égorgés. Pour se calmer, elle imagine les mains chaudes de Charles sur son ventre, sur ses fesses. Athénaïs a-t-elle parlé à sa mère ? Son petit doigt lui dit qu’il va bientôt la demander en mariage. Assistera-t-il à la représentation de George Dandin  ?
     
    Les voitures de la troupe longent le Grand Canal. Trois mille invités triés sur le volet sont attendus. La domesticité aura droit aux reliefs. Pendant que les décorateurs s’activent dans un théâtre de verdure, Blanche s’aventure vers le bosquet de l’Étoile. Les buffets y regorgent de gibiers. Des fruits confits ont été suspendus sur des abricotiers, des orangers et des poiriers en pot. Athénaïs grimpe dans le carrosse du roi qui s’élance vers le bassin des Cygnes. Enceinte de huit mois, la reine suit le mouvement dans sa chaise à porteurs. De crainte d’être en retard, Blanche rejoint les comédiens. La Cour prend place. Elle se farde, passe une robe bleu ciel à col en guipure. Molière dit un mot gentil à chacun. Le roi se fait attendre. Ces dames jasent. Il paraît. Silence. Au signal du souffleur, Poquelin bondit sur scène :
    —  Ah ! qu’une femme Demoiselle est une étrange affaire…
    Le roi opine de la perruque. Sûre de conquérir son Charles, espiègle et rouée, Blanche enchaîne ritournelles, danses et chants. À la fin, seul en scène, Dandin-Molière déclare :
    —  Lorsqu’on a, comme moi, épousé une méchante femme, le meilleur parti qu’on puisse entendre, c’est de s’aller jeter dans l’eau la tête la première.
    L’assemblée explose de hourras.
     
    Charles a disparu. Il n’est ni parmi les convives qui se rendent au souper servi sur le parterre du Grand Rondeau occidental ni dans le théâtre. Blanche croise Monsieur. « Il en va de soi que les comédiens sont les bienvenus », lâche-t-il avec condescendance. Dans une allée bordée de statues, Charles discute avec une blonde au profil bourbonien. Frétillante, Blanche s’apprête à courir vers lui. Il s’attarde, joue avec les bouclettes frisées de l’inconnue. Qui est cette pintade ? Une cousine, une amie, peut-être davantage ? Pourquoi se permet-il ces familiarités ? Blanche espère tomber sur lui à l’entrée du Grand Rondeau. Des bouquets de bougies éclairent les tables décorées de cristal, d’or et d’argent ciselé. Charles et sa greluche s’installent à celle du roi. Parmi les comédiens, Blanche ne les quitte pas des yeux. Ils ont