La Revanche de Blanche
à Saint-Germain.
Blase conduit à petite allure. Il est midi au clocher du village. Les chevaux sentent l’écurie. Devant le château, le Montespan court en tous sens, braillant comme un âne :
— Le roi est un voleur, un voleur ! Rombière, traînée, roueuse, tu vas me le payer !
Blanche se précipite vers la terrasse arrière où Athénaïs et la Grande Mademoiselle se sont réfugiées. Grassouillette, visage aquilin, bouclettes rousses, robe pourpre, trois rangs de perles, la duchesse de Montpensier lève les bras au ciel :
— Mademoiselle de La Motte ! Avez-vous vu ce cirque ? Ce fou hurle depuis ce matin sous nos fenêtres. La semaine dernière, il a osé venir au Palais-Royal me montrer une harangue insensée qu’il voulait lire au roi. Je l’ai prévenu que, s’il ne se calmait pas, il serait jeté dans les geôles de la Bastille.
Les injures du Montespan redoublent. Athénaïs embrasse Blanche, se bouche les oreilles. Le silence se fait. Un peu plus tard, une femme de chambre apparaît, tremblante :
— Madame de Montausier est sous le choc ! Monsieur de Montespan est entré comme une furie dans sa chambre. Il a… je n’oserais…
— Parlez, insiste la Grande Mademoiselle.
— Eh bien, il a traité ma maîtresse de maquerelle, de salope, d’entremetteuse… Il s’est rué sur elle, il l’a violée devant ses dames de compagnie.
— Dites à madame de Montausier que je préviens le roi illico ; il fera arrêter cette canaille, vrombit la Grande Mademoiselle.
Défaite, Athénaïs crache un peu de glaire sur la pierre de la terrasse.
— J’ai la nausée, confie-t-elle à Blanche. Je vais m’aliter. Nous nous retrouverons plus tard.
Au frais, sous les marronniers, les courtisans se pressent vers les buffets. Blanche a faim. Au hasard d’une allée, Julie de Montausier déambule à petits pas, les yeux hagards, les bras tendus, comme une somnambule. Elle caresse les joues de Blanche. Ses mains sont si fines qu’on les dirait de parchemin :
— Que de bruit ! Qui sont ces gens ? Qui êtes-vous ? Où suis-je ?
Blanche lui prend le bras, l’accompagne vers un banc. La muse de La Guirlande de Julie semble avoir perdu l’esprit.
En fin d’après-midi, Blanche retrouve Athénaïs dans ses appartements. Blafarde, la marquise respire un flacon de sels, boit de l’eau vinaigrée pour se purger :
— Le roi a envoyé des hommes à la recherche de mon mari. Ils vont le capturer, le jeter dans un cachot… Je m’en veux, si tu savais comme je m’en veux.
— Tu n’y es pour rien !
— Si mes projets avançaient, j’aurais moins de remords. J’ai l’impression de vivre dans un harem. On se croirait à la Cour du Grand Turc. Le roi couche par ordre de préséance avec la reine, Louise et moi.
— Comment va Louise ?
— Pauvre choute ! Elle n’a que des miettes. Plus le roi la néglige, plus elle s’accroche. Dès que nous serons à Paris, nous ferons dire les deux messes prévues. J’ai hâte d’être la seule et l’unique. Je soupçonne le roi de titiller Aglaé…
— Je viendrai avec toi, promet Blanche. Je veux à tout prix que Charles me revienne.
— Mieux vaut être la maîtresse de Longueville que sa femme. C’est déjà difficile de faire durer un amant.
Un petit matin frais, le roi part chasser le renard dans les bois de Marly. À sa suite, Athénaïs, Louise, Aglaé, Blanche et un essaim de courtisans. Parmi la meute et les troupes, Blase bavasse avec Ribouldingue, le premier valet de la Grande Mademoiselle :
— Je me demande comment fait le roi pour monter sa grosse Espagnole. Sait-elle qu’il fornique avec la Montespan ?
— La Vallière lui sert d’alibi. Il fait croire à la reine qu’il est fidèle à sa vieille maîtresse. Elle n’a que la peau sur les os, la Louise, éclate de rire Ribouldingue. Le roi est un chaud lapin : on dit qu’il se taperait madame de Saint-Martin, une vieille catin. Tu devrais surveiller ta blanche colombe. Il lorgne sur elle. La Vallière, c’est le passé, La Montespan, le présent, La Motte, le futur.
— La pauv’choute ! Elle vient de se faire éconduire par le fils Longueville. Elle l’a dans le sang.
La compagnie s’arrête dans une clairière. Soupe à l’oignon, moutons grillés à la broche, tourtes : le roi dévore, Monsieur salive devant un mignon, Madame et la Grande Mademoiselle grignotent des tranches de jambon. Sous un couple de sapins,
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