La Revanche de Blanche
Athénaïs et Blanche savourent la peau grillée d’un agneau, se lèchent les doigts, pissent sur les épines.
— J’ai reçu une lettre de mon ancienne cuisinière de Gascogne. Mon mari a fait célébrer mes funérailles dans l’église de Bonnefout. Son carrosse était, paraît-il, recouvert d’un drap noir et affublé de cornes de cerf. J’aurais bien aimé assister à mon enterrement et aux larmes de mes gens ! s’esclaffe la marquise.
Blanche sourit : son amie a tant d’esprit. À la curée, elle détourne les yeux. Comme sa mère, la chasse l’écœure. À pas de danse, le roi s’approche d’elle.
— Chère mademoiselle, il nous est agréable de vous avoir parmi nous. Mon intendant va vous remettre votre rente qui s’élèvera désormais à huit cents livres.
Blanche s’incline. Le roi l’a augmentée de trois cents livres. Une fortune !
— Vous étiez exquise dans George Dandin. Continuez à me faire rire, j’en ai grand besoin, ajoute Louis en regardant les chiens déchiqueter les viscères d’une biche.
Le lendemain, l’intendant remet à Blanche une bourse bien garnie. Rentrée à Paris, elle s’empresse de filer chez son couturier. Rue des Tournelles, elle étale jupons, chapeaux, manteaux, robes et escarpins sur le lit de Ninon.
— Que d’excès, ma fille ! tique la courtisane. Ta mère n’était pas aussi dépensière.
— Ma mère n’était pas à la Cour, que je sache ! As-tu des nouvelles de Charles ?
— La marquise de Sévigné m’a appris qu’il se mariait le 20 janvier. On en sera débarrassé pendant un moment.
Blanche pique du nez, rassemble ses vêtements, se réfugie dans sa chambre, sèche ses larmes. La seconde messe de Guibourg sera dite demain matin. Elle fera croire à Ninon qu’elle doit se rendre avec la Montespan chez une vieille tante. Personne ne le saura.
Les feuilles commencent à moisir. Le carrosse d’Athénaïs roule vers Saint-Denis. Rendez-vous a été pris dans une cabane isolée en forêt. La Des Œillets, qui a organisé la rencontre, est du voyage. Au pied d’un chêne centenaire, elle conduit Athénaïs et Blanche sur un sentier envahi de ronces jusqu’à une baraque de bûcherons. En chasuble blanche brodée d’abeilles noires, Guibourg accueille les jeunes femmes, la mine grivoise. À l’intérieur de la cabane, la Voisin se confond en excuses de recevoir la marquise dans un cadre si rustique. Sur le sol couvert de sciure, une paillasse encadrée de quatre chandeliers. Contre un tas de bûches, un nouveau-né pleurniche dans un panier. Blanche se signe en tremblant. Elle a envie de fuir. Se retient. Sa volonté de posséder Charles dépasse son dégoût.
La cérémonie se déroule selon les mêmes rituels « purificateurs ». Athénaïs et Blanche rédigent leurs suppliques. Athénaïs se dévêt, s’allonge sur le galetas, un napperon sur les yeux. Guibourg déclame, théâtral :
— Princes des ténèbres, je vous conjure d’accepter le sacrifice de cet enfant pour les demandes qui vont vous être faites. « Je, Athénaïs de Rochechouart de Mortemart, épouse Montespan, demande que le roi quitte La Vallière, qu’il la chasse ainsi que ses courtisanes, et que, la reine étant répudiée, je puisse épouser mon roi. Prince des ténèbres, je, Blanche de La Motte, demande que monsieur Charles de Longueville n’ait de désir que pour moi. »
La Voisin apporte l’enfant à la peau orangée, fripée. Guibourg sort de sa poche un couteau, l’enfonce dans son cou. Le sang ne s’écoule pas. Agacé, le curé lui tranche la tête. Blanche est tétanisée.
— Satanas , grogne Guibourg. Vous m’avez fourgué un prématuré, Catherine. De la camelote.
— Transpercez-lui le cœur ; nous pourrons recueillir quelques gouttes, grommelle la sorcière.
L’abbé place le calice sur la poitrine du petit mort, qu’il pique d’un coup sec. Le cœur saigne enfin.
— Loué sois-tu, Astaroth Asmodée.
Nauséeuse, Blanche se cramponne à l’idée que ce sacrilège est indispensable. Elle veut croire que cette horreur lui rendra Charles.
Avant de partir, Athénaïs paie grassement l’assassin. La Des Œillets saisit sa fiole et une boîte contenant un mélange de ses humeurs menstruelles, de sperme, de poudre de sang de chauve-souris et de farine. Blanche se jure de ne plus jamais assister à des messes sataniques.
Le lendemain, elle s’en retourne à l’hôtel de Condé. Fardée,
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