La Revanche de Blanche
éprouve une bouffée de reconnaissance pour l’officier de marine.
Un après-midi, Molière lui rend visite. Il s’inquiète de sa santé, la rassure : les représentations de L’Avare ont commencé, mais elle rejoindra la troupe dès qu’elle sera rétablie. Il lui confiera le rôle de Dame Claude, la servante d’Harpagon, en alternance avec Marotte. Trois ou quatre répétitions devraient suffire. Blanche veut tout savoir sur L’Avare. Jean-Baptiste, modeste :
— Rien de très original : c’est une pièce sur la tyrannie domestique et l’égoïsme. Harpagon, un bourgeois qui a réussi dans les affaires, pense pouvoir s’acheter une retraite douce aux mépris des autres, même de ses enfants. Ses projets sont ruinés. Ne lui reste que sa chère cassette. Armande tient le rôle de sa femme ; Madeleine, celui d’une intrigante ; Louis Béjart, celui de La Flèche, le valet de Cléante.
L’eau à la bouche, Blanche embrasse Poquelin et remonte dans sa chambre. Dame Claude en alternance avec Marotte, c’est tentant, se dit-elle en se glissant sous ses draps. Il me faudra retrouver des forces. Faire rire. En aurai-je le courage ? Tiraillée entre son affection pour Molière et son désir de jouer la tragédie, elle n’ose aller trouver Racine.
Un matin frisquet, l’envie lui vient de demander conseil à son vieil ami Marc Dupin. Rue de La Vieille-Lanterne, des bouchers exposent des viandes faisandées pour les fêtes de fin d’année. Du sang coule sur le pavé et se mêle au crottin des chevaux. Une odeur lancinante monte à la gorge. Marc termine de corriger un discours pour Colbert. Il la serre dans ses bras :
— Je suis content que tu reviennes dans cette maison qui est la tienne. J’ai maintenant droit à une bourse de six cents livres. Quand je pense que ce vieux Corneille en touche mille, Charles Perrault, mille cinq cents et Racine, deux mille. Seul inconvénient de ces faveurs : je suis obligé d’écrire pour des ministres. La censure est féroce. Le roi ne tolère aucun écrit séditieux.
— Avez-vous des nouvelles de mon père ? Antoine de La Boissière est parti en Nouvelle-France ; il ne reviendra pas avant six mois, s’impatiente Blanche.
— Un ami a lu dans les Relations des jésuites que Ronan s’était remarié. Sacré filou ! Réjouis-toi. Sa femme a dû l’aider à se rétablir. Les Huronnes connaissent les plantes qui guérissent.
— Une sauvage ! On aura tout vu ! Il aurait pu me prévenir ! Pas un mot depuis cinq ans ! Il est d’un égoïsme !
— Ne le juge pas. La France a du mal à se maintenir dans le pays, les Hollandais gagnent du terrain, il sera bien obligé de rentrer. Que deviens-tu, beauté fatale ?
— Charles de Longueville se marie. J’ai envie de mourir…
— Allons, ne dis pas de sottises. Il ne faut jamais se laisser aller, biquette. Tu joues toujours la comédie ?
— J’aimerais ton avis. Racine m’a proposé de venir le voir. Je rêve de jouer avec lui, mais je ne veux pas abandonner Molière.
— Quel dilemme, ma puce ! Suis ton désir. Je connais Racine. Nous étions au collège d’Harcourt ensemble. C’est un ambitieux, orgueilleux et emporté. D’une sensibilité maladive, il imagine toujours qu’on le persécute. Ça lui a valu de nombreux ennemis. Veux-tu que nous allions ensemble voir ses Plaideurs ?
— Avec joie, s’exalte Blanche.
— Une bonne farce. Il avait sans doute besoin de changer de registre : la mort de Marquise Du Parc l’a terrassé. Je suis allé à ses funérailles. Une foule d’admirateurs et d’artistes suivaient le cortège. Elle l’avait rendu fou de jalousie. Au printemps dernier, elle l’avait quitté pour Louis de Rohan en exigeant de ce godelureau une promesse de mariage. Elle est revenue à son homme, pour mourir dans ses bras. Comment a-t-elle trépassé ? Des doutes subsistent. Racine est fasciné par le fils de Satan, l’antéchrist, amateur de vices et de poisons.
Jusqu’où faut-il aller pour parvenir, et dormir tranquille ?
17
Construit en 1548 par les confrères de la Passion sur l’ancien hôtel des ducs de Bourgogne dont il ne reste que la tour Jean-Sans-Peur, le théâtre de l’hôtel de Bourgogne se trouve entre la rue Mauconseil et la rue Montorgueil, près de l’enceinte de Philippe Auguste. Des murs tendus de toile verte, une scène agrémentée de blasons peints, des boiseries, des lustres : il paraît plus luxueux que celui
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