La Revanche de Blanche
l’étude de maître de La Motte au fond d’un couloir sombre. Un clerc lui ouvre. Elle se présente. L’homme la fait entrer dans le bureau de son frère. Derrière une pile de dossiers, Guillaume la scrute :
— Quel bon vent t’amène, sœurette ? Aurais-tu des ennuis ?
— Cher Guillaume, il ne s’agit pas de moi, mais d’une de mes amies comédiennes qui ne souhaite pas que je révèle son identité. Elle est fantasque ; elle a eu l’imprudence de demander à un dangereux personnage, monsieur Mariette, quelques menus services. Il paraît qu’il a été arrêté…
— En effet. Que puis-je faire pour cette dame ?
— C’est délicat. Elle est mariée ; elle craint que son mari ne découvre ses agissements, que les dépositions de ce Mariette soient rendues publiques.
— Ma chérie, ton amie a pris des risques inconsidérés. De mémoire, Mariette et Lesage, son compère, n’ont pas cité de comédienne. Henri de Mesmes, chargé d’instruire le procès, a condamné Mariette au bannissement, Lesage, aux galères. L’affaire est close. Dis à ton amie de ne plus fréquenter de sorciers. Elle risque gros. Nous enquêtons : ils pullulent dans les bas-fonds de Paris.
— Je te remercie de ta confiance, Guillaume. Viens donc souper à la maison, lance Blanche avant de regagner les Tuileries pour rassurer Athénaïs.
Il est quatre heures de l’après-midi. Athénaïs fait ses bagages :
— Nous venons d’apprendre la mort de la mère d’Henriette, la vieille reine consort d’Angleterre, l’épouse de Charles I er . Le roi a décidé de maintenir son départ pour Chambord. Si tu avais vu la tête de Marie-Thérèse quand il lui a annoncé qu’il n’irait pas aux funérailles ! Que t’a dit ton frère ?
— Le magistrat chargé du dossier est Henri de Mesmes. L’affaire est classée.
— Pas étonnant ! C’est un cousin. Il a dû me protéger. Ouf ! Louis n’en saura rien, se réjouit la marquise. Je vais pouvoir m’amuser à Chambord. Molière et Lully vont nous présenter une nouvelle comédie-ballet.
À ces mots, Blanche la salue, direction le théâtre du Palais-Royal, à deux pas.
Au parterre, comédiens et musiciens font mille pitreries. Baron pirouette vers Blanche :
— Salutations, la belle ! On répète Monsieur de Pourceaugnac. J’espère que tu seras des nôtres.
Sur scène, habillé de vert, Molière, commence sa tirade :
— Eh bien quoi ? qu’est-ce ? qu’y a-t-il ? Au diantre soit la sotte ville et les sottes gens qui y sont.
Soudain, il se plie en deux, se met à tousser sans pouvoir s’arrêter. Du Croisy se précipite vers lui, lui tend un verre d’eau.
— Je suis à bout, crachote Jean-Baptiste. J’ai bâclé cette farce en un rien de temps. Nous partons pour Chambord dans huit jours. Les amis, il va falloir improviser. On nous paie pour faire rire la galerie, que diable !
Blanche attend qu’il descende des planches pour l’aborder :
— Cher Jean-Baptiste, je voulais vous dire combien je regrette de vous avoir offensé.
— C’est oublié, pitchoune ! Si tu ne rechignes pas à avoir un petit rôle, je te confie celui de Lucette, une Gasconne rouée.
Blanche lui saute au cou :
— Vous êtes si bon avec moi. J’espère que vous irez mieux…
— Les médecins sont des incapables. Leurs clysopompes, lavements, clystères et autres escroqueries ont tué mon père. Bientôt, ce sera mon tour. Monsieur de Pourceaugnac, ce vieux catarrheux, hypocondre, c’est moi ! rit Jean-Baptiste qui retrouve ses couleurs.
Blanche se régale. En duo avec Lully, docteur porte-seringue, Poquelin, en M. de Pourceaugnac, est hilarant. Le comique tient au ridicule de ce provincial loufoque venu en coche à Paris pour se marier à Julie, la fille du vieil Oronte. Afin de déjouer son projet, Julie et son amant, Éraste, font appel à une entremetteuse, Nérine, et au fourbe, Sbrigani. Berné, Pourceaugnac s’en retourne dans sa campagne.
Sans tarder, Blanche décide de se familiariser avec Lucette et entre en scène, son texte à la main.
— Ah ! tu es assy, et à la fy yeu te trobi aprés abé fait tant de passés. Podes-tu, scélérat, podes-tu sousteni ma bisto ? débite-t-elle sans rien comprendre à ce jargon gascon.
— Mâche les mots, suggère Molière avant de lui donner la réplique.
— C’est du charabia ! s’agace Blanche.
— Tu t’y feras, la presse Jean-Baptiste.
Michel Baron, en Suisse,
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