La Revanche de Blanche
pestant. Elle longe la Seine, se met à regretter ses propos, son ingratitude, se console en se disant que, s’il le faut, Monsieur interviendra. Rue des Tournelles, un billet d’Athénaïs l’attend.
Ma chère Blanche,
Ce mot à la hâte, nous quittons Saint-Germain dans une heure. Retrouve-moi aux Tuileries demain soir. Auparavant, j’aimerais que tu te rendes chez notre amie du quartier Saint-Lazare pour chercher un colis à mon intention.
Athénaïs.
Blanche déchire le poulet, enrage : pourquoi Athénaïs ne charge-t-elle pas la Des Œillets de cette besogne ? Aurait-elle commandé à la Voisin d’autres philtres tord-boyaux ? Elle parcourt à grands pas son appartement. Les rideaux de brocart ont été remplacés par des toiles bleutées au travers lesquelles perce la lumière crépusculaire du soir. Ici, elle se sent une dame, pas une domestique ! Blase lui apporte un bol de soupe aux choux :
— Vous devriez recevoir, mademoiselle. C’est si joli chez vous.
— J’y songerai, soupire Blanche qui rêve d’ouvrir un salon, comme sa mère.
Elle ne s’en sent pas autorisée. Le roi a exigé le silence, la discrétion. Il ne faut surtout pas qu’Athénaïs sache qu’il la loge. Elle ne pourrait plus revenir à la Cour, revoir le roi, Monsieur, jouer avec Racine… Elle se souvient des conseils de Ninon à Françoise : servir la Montespan, c’est servir le roi. Pourquoi ne pas lui rendre ce service ?
Le lendemain, le 10 septembre 1669, Blanche se réveille tôt et fait croire à Blase qu’elle va se promener sur le Cours-la-Reine. Montée sur Aurore, elle galope vers la rue Beauregard. La fille de la Voisin entrouvre la porte :
— Ma mère n’est pas là, elle ne travaille plus ici.
— Où puis-je la trouver ? insiste Blanche.
— J’sais pas. Du balai ! crie Marie-Marguerite.
Désappointée, Blanche aborde un étameur.
— J’peux rien vous dire, m’selle. Me posez pas de questions, baragouine l’homme au bec-de-lièvre.
Blanche sort deux louis de sa bourse. L’artisan se détend :
— La sorcière et ses complices, Lesage et Mariette, ont été arrêtés il y a plus d’un an, le 22 mars 1668, si j’me souviens. La Voisin les a dénoncés. Paraît que cet été, Mariette a été interrogé au Châtelet. Il aurait balancé, le salaud. Ils y vont pas de main morte, là-bas.
Blanche fouette Aurore, s’agrippe à sa selle pour ne pas défaillir. Et si Mariette avait lâché le nom d’Athénaïs ? Le sien ?
Chez elle, elle ordonne à Blase de lui de préparer une bassine de cuivre. Accroupie dans l’eau tiède, elle se frotte avec de l’esprit-de-vin avant de trottiner vers les Tuileries pour prévenir Athénaïs.
Dans la chambre de Marie-Thérèse, Louise, Aglaé, Henriette et Marie de Sévigné jacassent. Athénaïs hèle Blanche :
— Tout va bien ?
Blanche hoche la tête. De sa voix chantante, la marquise de Sévigné déclare, solennelle :
— Je vais vous mander la chose la plus étonnante, la plus surprenante, la plus merveilleuse, la plus miraculeuse qui soit. Devinez qui se marie. Je vous le donne en trois. Jetez-vous la langue aux chiens ? Eh bien, monsieur de Lauzun serait épris… De qui ? Je vous le donne en quatre, en dix, en cent… Vous n’y êtes pas ? Il est fiancé avec mademoiselle de… Mademoiselle, la Grande Mademoiselle, mademoiselle d’Eu, mademoiselle d’Orléans, cousine germaine du roi, Mademoiselle destinée au trône, Mademoiselle, le seul parti de France qui fût digne de Monsieur.
Les suivantes éclatent de rire ; la reine fait grise mine : la Grande Demoiselle a quarante-trois ans, le duc de Lauzun, six de moins. Il n’est ni roi ni empereur ni héros.
— Le seul mérite de Lauzun est de plaire aux femmes, se moque Athénaïs qui propose à Blanche de sortir un instant.
Dans un cabinet voisin, Blanche lui apprend l’arrestation de Lesage et Mariette.
— Seigneur ! frémit Athénaïs. Ils ont dû parler de moi sous la torture : tout va se savoir. Je suis perdue !
— Moi aussi ! Attends, j’ai une idée : mon frère est avocat. Il a des relations au Châtelet. Je pourrais lui demander d’étouffer l’affaire.
— Cours, vole, ma fille. Et surtout, ne donne jamais mon nom.
Blanche fonce vers le Palais de justice. Elle traverse la grande galerie où s’entassent joailliers, peintres et décorateurs, se renseigne auprès d’un magistrat grisonnant, finit par trouver
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