La rose de Raby
homme avisé : il n'était pas né de la dernière pluie, comme on dit en Irlande.
Colum revint au lit et prit le crucifix.
— Que faites-vous ? s'enquit Kathryn.
—
Mon compatriote avait l'habitude de faire des copies.
L'Irlandais examina le crucifix avec soin : les deux branches étaient de bronze creux. Quand il en souleva la partie supérieure, il poussa une exclamation et sortit du pied un fin rouleau blanc.
— Le fantôme est toujours ici, murmura-t-il.
Il ajouta quelques mots en gaélique et fit un geste de ses mains, comme si Padraig se tenait à côté de lui.
—
Nous ne pouvons plus rien, Kathryn, je vais envoyer un messager à Cuthbert, à l'hospice des Prêtres Indigents. Il s'occupera du corps et le fera enterrer.
Il montra le rouleau et conclut :
— La mort de Padraig n'était pas tout à fait inutile.
CHAPITRE IV
« Mieux vaut sortir la pomme pourrie Plutôt qu'elle ne pourrisse les autres. »
Chaucer, « Le conte du Cuisinier », Les Contes de Cantorbéry Au palais royal d'Islip, malgré l'heure tardive, la chambre du Conseil flamboyait de lumières et de couleurs éclatantes : des centaines de bougies de cire d'abeille brûlaient sur leurs supports en fer noir. On avait allumé un feu dans la grande cheminée à hotte et apporté des braseros sur lesquels avaient été répandues des herbes dont l'odeur évoquait les fraîches senteurs de l'été. Pourtant, ce n'était pas une occasion festive. Les volets des fenêtres à meneaux garnies de vitres avaient été fermés; des chevaliers bannerets arborant la livrée de la maison royale se pressaient dans les galeries et couloirs d'accès à la chambre.
À l'intérieur de celle-ci, Édouard d'Angleterre, assis en haut d'une longue table ovale cirée, avait congédié ses clercs. Seuls les « amis de sa chambre », comme il les appelait, avaient été autorisés à assister à ce conseil. À sa droite se tenait Bourchier, yeux mi-clos ; Édouard pensait que le vieil archevêque sommeillait, pourtant il savait que non. Bourchier était une araignée roublarde. Sans rien dire, il tissait sa toile. À la droite d'Édouard il y avait sa mère, Cécile d'York, la Rose de Raby, veuve et encore très belle. Le roi se demandait distraitement quelle serait l'humeur de son impétueuse génitrice.
Elle était impassible, dans sa robe de velours rouge sombre garnie de fourrure, dont le corsage ajusté et les manches étroites la moulaient. Cécile avait dénoué la bande de brocart sous la taille haute du vêtement et s'était débarrassée de la courte traîne. De superbes bagues ornées de saphirs scintillaient à ses doigts, et, à son cou, un collier serti des mêmes pierres brillait de mille éclats. Édouard avait toujours trouvé sa mère extrêmement belle, et l'âge ne l'avait pas flétrie. Elle conservait ce délicat visage de porcelaine, cette bouche qui pouvait exprimer des humeurs bien différentes, et surtout ces yeux bleu foncé parfois rieurs, d'autres fois menaçants et haineux.
Avec un soupir, Édouard regarda les parchemins sur la table, devant lui.
Cécile ne changeait pas : sourcils rasés, le visage couvert d'un onguent blanc lumineux, et la douce rougeur sur les hautes pommettes. Beaucoup assuraient qu'Edouard d'Angleterre avait poursuivi sa mère toute sa vie. La ressemblance entre Cécile d'York et la propre femme d'Édouard, la magnifique Élisabeth Woodville, avait fait jaser plus d'un courtisan. Édouard ferma les yeux. Il aurait aimé se trouver dans sa chambre à coucher avec Élisabeth, sentir dans ses bras la fraîcheur de son corps d'albâtre, enfouir son visage entre ses seins.
—
Nous attendons, Votre Grâce.
—
Cher frère.
Relevant la tête, Édouard sourit à George, duc de Clarence, son beau et perfide frère - cheveux dorés retombant sur la nuque, harmonieux visage ovale que déparait le menton plutôt massif, cyniques yeux bleus, et lèvre inférieure boudeuse.
—
Vous avez bu, mon frère? demanda Édouard avec douceur.
—
Je me suis abreuvé abondamment aux eaux de la vie, Votre Grâce.
L'homme à côté de Clarence éclata d'un rire brutal. Contrairement à ses frères, il n'arborait pas le bleu, rouge et or de la maison royale. Richard de Gloucester était allé à la chasse en forêt autour de Cantorbéry, et il portait encore un justaucorps vert, souillé par les intempéries, sur une chemise en toile blanche. Richard, dont le visage étroit était délicat, pouvait se montrer
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