La rose de Raby

corps.
    —
    Non, attendez une minute.
    Kathryn se leva et examina les dalles dressées. Elle prit un peu de terre qu'elle fit couler entre ses doigts. Impossible de trouver la source de l'odeur suave, mais elle était toujours là, subtile, et chatouillait à la fois le palais et la mémoire de la jeune femme.
    —
    Pensez-vous
    que
    cette
    fragrance
    soit
    d'origine
    spirituelle?
    demanda-t-elle.
    —
    Voulez-vous dire que Dieu n'a pas les moyens de ses saints? la taquina Eadwig.
    Secouant la tête, Kathryn le suivit, et ils sortirent par la |K>ric qui donnait sur le cimetière envahi d'herbe. Celle-ci, émaillée de fleurs sauvages, dissimulait presque les pierres tombales. L'endroit était paisible, ensoleillé, et on entendait le chant fluide des merles dans les vieux ifs tordus qui étendaient leurs branches comme les bras de quelque monstre.
    —
    Mon dernier havre de paix, murmura Eadwig. À présent que le printemps est là, il va falloir tondre l'herbe. Nous la laissons pousser : après l'hiver, c'est un bon fourrage.
    Cette jeune femme qui avait sur les épaules une tête si bien faite intriguait beaucoup le religieux. Combien d'années s'était-il écoulé depuis le dernier baiser qu'il avait donné à une femme? Vingt ans ? Vingt-cinq ans ? Il ne savait plus. Maîtresse Swinbrooke était vraiment séduisante avec ses grands yeux sombres et son teint clair et lisse. Son apparence calme et sereine cachait un tempérament emporté, il l'avait appris la veille. À présent, elle se tenait aussi composée qu'une mère prieure dans sa robe bleu foncé modestement boutonnée et bordée de blanc aux poignets et au col, que complétait une guimpe de la même couleur dissimulant ses cheveux. Eadwig comprenait que Colum soit tellement attiré par elle : Kathryn Swinbrooke offrait un subtil mélange de simplicité et de séduction. Il porta la main à son estomac qui gargouillait.
    —
    Voulez-vous rompre votre jeûne, Maîtresse ?
    -— Le prieur a-t-il rassemblé les miraculés d'Atworth? demanda Kathryn par-dessus son épaule.
    Toutes ces herbes folles qui poussaient ici l'avaient fait réfléchir, et elle se promit de revenir : dans ces endroits qui retournaient à l'état sauvage, on trouvait souvent des plantes et des simples rares.
    —
    Ils seront tous là vers midi, répliqua Eadwig.
    Kathryn lui fit face.
    —
    Et vous allez me suivre partout?
    Le moine prit le bâton qu'il avait abandonné sous le porche avant la messe, puis répondit par une citation des Psaumes :
    —
    «Mille tomberont peut-être sur votre gauche, dix mille sur votre droite, mais la terreur qui rôde à midi ne vous approchera pas. »
    Kathryn éclata de rire, et son visage perdit d'un coup sa sérénité. Le cœur d'Eadwig s'émut.
    —
    Vous ne risquerez rien, Maîtresse.
    —
    Mais vous non plus ? le taquina Kathryn.
    Elle tapota sa sacoche d'écriture dont elle avait passé la bandoulière en cuir sur une épaule.
    —
    Avez-vous l'habitude de voir des cadavres, Eadwig? s
    —
    A Saint-Albans, Maîtresse, ils s'entassaient à hauteur des genoux, les yeux et les membres arrachés, et on enfonçait dans le sang jusqu'aux chevilles.
    —
    Parfait, souffla Kathryn, dans ce cas nous devrions nous rendre au charnier inspecter une dernière fois les corps d'Atworth et de Gervase.
    J'aimerais que vous m'accompagniez.
    Le sourire d'Eadwig disparut.

    —
    A mon avis, reprit Kathryn, il est préférable que nous examinions d'aussi sinistres dépouilles avant de manger.
    Déglutissant avec difficulté, Eadwig en convint. Ensuite, avec la jeune femme, il contourna l'église en direction de l'infirmerie. Le charnier était situé dans une petite cour derrière celle-ci. C'était une salle de plain-pied, dont le plafond était soutenu par des piliers noirs, et dont les murs étaient recouverts d'une épaisse couche de chaux afin d'éviter les mouches et autres insectes. Le plancher avait été traité de la même manière. Le frère convers qui les fit entrer ne fut que trop heureux de sortir, afin, dit-il, de « respirer l'air de Dieu ». Il y avait dans le charnier trois cadavres recouverts de draps de toile.
    Eadwig expliqua que le premier était celui d'un pauvre mendiant trouvé mort dans une ruelle, à l'extérieur du couvent. Le deuxième était celui d'Atworth.
    Eadwig retira le drap, et Kathryn entama un examen minutieux. Elle nota que depuis que le corps était exposé à l'air, il était dans un état de putréfaction et de