La rose de Raby
décomposition plus avancé. Il commençait à perdre sa consistance cireuse, le ventre se boursouflait et, curieusement, l'œil gauche était légèrement entrouvert.
—
Mauvais signe, marmonna Eadwig, la main devant la bouche. Cela signifie que quelqu'un d'autre va mourir.
Kathryn, cependant, était absorbée par son examen. Elle détailla le corps centimètre par centimètre, de face et de dos, mais ne trouva rien d'anormal.
Les bras, les épaules et le dos d'Atworth portaient d'anciennes cicatrices datant de sa vie de soldat. Il avait dû se casser le bras droit, mais celui-ci avait été habilement remis en place. La jeune femme reporta son attention sur les prétendus stigmates aux poignets et aux chevilles : de grosses plaies d'un côté, et de l'autre un trou dans la peau. Ces blessures étaient un peu tuméfiées, comme si on les avait bandées, et Kathryn se rappela que cela avait été le cas : on les avait étroitement entourées de bandelettes avant d'enterrer Atworth. La jeune femme sentit encore un parfum diffus, mais rien d'autre. Satisfaite, elle passa à la dépouille de Gervase. Parce qu'il n'en restait que des cendres noirâtres, il était difficile d'admettre que la veille seulement ces restes avaient été un être humain plein de vie, un moine important, l'un des chefs de cette congrégation. À présent, tout — son visage, ses cheveux, ses membres — était affreusement calciné, ratatiné par cette flambée terrifiante.
—
Sans le témoignage de frère Timothy, chuchota
Kathryn, cette dépouille pourrait être celle de n'importe qui. Mais pourquoi?
Parlez-moi de Gervase, Eadwig.
—
C'était un bon moine. Notre règle nous interdit de montrer du mépris pour les autres, de lever la main sur nos frères, ou de dire du mal des membres de notre communauté, poursuivit le convers. À sa façon, Gervase était assez charitable, mais il avait ses faiblesses.
—
Lesquelles?
—
Oh, pas du côté du vin ou des femmes. Il était le trésorier du couvent. Il aimait voir l'or et l'argent se déverser dans nos coffres.
Eadwig fit une grimace et ajouta :
—
Faut-il que nous nous entretenions, ici, Maîtresse ?
Kathryn convint qu'ils seraient mieux ailleurs, et ils sortirent pour se laver les mains à un puits qui se trouvait à proximité.
—
Gervase estimait-il le frère Atworth? demanda Kathryn.
—
Vous savez bien que non, Maîtresse. Néanmoins, une fois, il y a environ huit mois, c'était au début de l'automne, Gervase proposa d'écrire l'histoire de la vie d'Atworth. Celui-ci refusa et Gervase en fut très offensé.
Kathryn leva les yeux sur la flèche de l'église : il n'y avait pas un nuage dans le ciel, et la journée s'annonçait chaude. Quelques moines seulement déambulaient, les autres étaient au réfectoire ou au chapitre.
—
Les religieux disent que c'est un feu divin qui a consumé Gervase, reprit Eadwig.
—
Absurde! rétorqua Kathryn en s'essuyant les mains à sa jupe. Gervase a été assassiné.
Eadwig ouvrit grande la bouche.
—
Assassiné? Dans ce cas, pourquoi ne pas lui avoir tranché la gorge ou planté un couteau dans le dos?
—
J'y ai réfléchi. Venez, je vais vous montrer.
Prenant sa sacoche d'écriture, elle porta un ultime regard sur la porte du charnier avant d'entraîner Eadwig vers Gethsémani. Dans le soleil matinal, l'endroit était un paradis : le vaste pré vert bordé par les grands arbres; l'air parfumé de l'odeur d'herbe fraîche. Évidemment, ils durent saluer d'un geste de la main frère Timothy, qui avait ouvert sa fenêtre et les regardait. Kathryn lui trouva un air de vieil oiseau aux aguets depuis son nid.
—
Je n'ai rien vu d'anormal ! cria le vieillard. J'ai observé l'endroit où est mort frère Gervase, je n'ai rien remarqué.
Eadwig le remercia, et la bénédiction de Timothy sonnait encore à leurs oreilles lorsqu'ils traversèrent le pré. Kathryn s'arrêta devant la tache sombre qui marquait l'emplacement où le corps de Gervase avait été étendu. Puis elle reprit sa marche vers le buisson d'aubépine. Le sol était encore couvert de cendres grises impalpables.
La jeune femme s'accroupit, s'efforçant de se rappeler ce qu'elle avait vu la veille.
—
Quelqu'un est venu ici, déclara-t-elle.
Elle ramassa une branche morte pour remuer les cendres.
—
Bien sûr, répondit Eadwig. Des frères sont passés ce matin ; toute la communauté parle de la mort de Gervase.
—
Je soupçonne l'assassin
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