La rose de Raby
Édouard d'Angleterre.
Le sarcasme s'entendait clairement dans la voix de l'Irlandais.
Le roi leva son gobelet en l'honneur de Sanglier, puis se cala dans son siège ; il murmura alors quelque chose à sa femme qui sourit avec affectation et baissa la tête. Le chambellan reparut pour glisser quelques mots à l'oreille du roi. Cette fois Édouard approuva d'un geste mou de la main. Derrière lui, les hérauts levèrent leurs trompettes et leur fanfare noya le bruit des conversations. À ce signal, un autre chambellan, qui s'appuyait avec raideur sur sa crosse d'apparat, survint par l'un des passages ménagés entre les tentures. Derrière lui, quatre cuisiniers portaient sur un grand plateau d'argent un magnifique cygne blanc fait de sucre. Tous les invités applaudirent, et les hommes en sueur, tenant solidement le plateau, contournèrent les tables pour s'approcher du roi. Ils étaient suivis de pages munis de petites coupes de friandises. Le chambellan s'écarta, le temps qu'on débarrasse la table, et le cygne fut placé devant le roi. De nouveau une fanfare de trompettes retentit, et le silence se fit. Levant son verre, Édouard, d'une voix ferme, tonnante, même si son élocution était un peu pâteuse, déclara :
—
Mes seigneurs et dames, nous souhaitons la bienvenue à l'envoyé de notre cher cousin Louis, le vicomte de Sanglier, venu de France réaffirmer la grande paix entre nos deux royaumes.
Le roi semblait sincère, mais il avait un sourire cynique. Il leva encore son gobelet pour en avaler le contenu d'un trait. Les membres de la Cour l'imitèrent. Le vicomte fit mine de se dresser, mais Edouard lui fit signe de rester assis, et portant sur l'assistance un regard rayonnant, il ajouta :
—
Nul besoin de discours : nous offrons la paix, l'amitié et l'amour fraternel.
Ce cygne est un gage de notre estime.
Il se tourna ensuite vers le chambellan qui tira son couteau pour le lui tendre.
Édouard se pencha et, d'un mouvement rapide, fendit le cygne. S'en échappèrent six colombes d'un blanc pur qui, affamées, affolées par le bruit et la lumière, s'élevèrent au-dessus des invités à grands battements d'ailes.
Des « oh » et des « ah » fusèrent, ainsi que des applaudissements. Le roi donna un ordre sec. Les colombes partaient à tire-d'aile quand, derrière les tapisseries en soie, des fauconniers lâchèrent cinq des faucons royaux. Ces oiseaux de chasse, dressés et dûment privés de nourriture, s'élancèrent dans le ciel telles des ombres noires. Les exclamations des invités moururent sur leurs lèvres, tandis qu'ils suivaient des yeux les rapaces qui fonçaient, puis s'arrêtaient l'espace d'un instant. Enfin, ailes rabattues, ils fondirent comme des pierres sur la victime qu'ils s'étaient choisie. Une seule colombe réussit à s'échapper, mais les autres, folles de terreur, furent des proies faciles. Un faucon saisit la sienne, la serrant entre ses serres cruelles : le sang gicla et retomba en partie sur les convives. D'autres rapaces tuèrent les leurs en plein ciel bleu, et le sang gouttait lorsque, obéissant au sifflet de leur maître, ils rapportèrent leurs victimes. On applaudit. Sur son trône, Edouard souriait avec nonchalance à l'assistance, amusé quand des courtisans essuyait rapidement des éclaboussures de sang sur leurs somptueux atours.
Çà et là, les nappes blanches étaient tachées de gouttes écarlates. Sanglier regardait les bagues à ses doigts, comme s'il n'avait pas vu ce qui se passait.
Kathryn se détourna, écœurée.
—
Quelle cruauté, Colum! chuchota-t-elle. Il ne s'agit pas de chasse mais d'une tuerie gratuite.
—
C'est ainsi qu'est notre noble prince, répliqua- t-il. Il a sans doute attendu ce moment toute la journée. C'est un avertissement à Sanglier. Il peut souper et déjeuner, regarder le lâcher des colombes de la paix, mais s'il le faut, les faucons de la guerre battront les cieux en permanence.
Le roi se leva et frappa dans ses mains, signe que les festivités étaient terminées. Puis, suivi de sa mère et de ses frères, il quitta l'enceinte royale; en passant, il tapota Sanglier sur l'épaule, lui indiquant ainsi de le suivre. Les invités se détendirent, certains se levèrent pour rejoindre des amis, d'autres réclamèrent de la nourriture et du vin.
— Et maintenant? interrogea Kathryn.
Venables, qui se tenait à sa gauche, les invita à l'accompagner.
Ils sortirent de l'enceinte et traversèrent une cour pavée
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