La Rose de Sang
J'envoyai un message pour venir sur le vaisseau amiral où
vous vous trouviez...
— Mais
vous n'aviez quand même pas l'intention de prendre le Victoria avec les quelques marins de votre felouque
? s'exclama Zéphyrine.
— Si...
J'apportais à Cortés un tonneau de malvoisie drogué. En un rien de temps, tout
le monde aurait dormi à bord, vous y compris, vous vous seriez réveillée dans
mes bras, Madame... Malheureusement, la tempête soudaine m'empêcha de réaliser
cet amusant projet. Gros Léon nous rejoignit. Pendant plusieurs jours, nous
luttâmes pour ne pas sombrer. Nous fûmes déportés vers Hispaniola [139] .
J'abandonnai sur une côte déserte le vrai capitaine Fernandez et les
officiers. De là, je fis voile et rame avec une chiourme consentante vers la
Castille d'or. Nous abordâmes à la baie de l'Opale. Je laissai mes hommes et
mon navire avec promesse de m'attendre. A moins qu'ils ne trouvent un autre
capitaine, je crois qu'ils y sont obligés car aucun d'eux n'est capable de
diriger un navire sur l'Océan... Voilà, ma chère Zéphyrine, vous savez à peu
près tout. Avec Bois-de-Chêne et Paolo, nous nous jetâmes dans la jungle à
votre suite. A Panama nous arrivâmes comme vous veniez de partir. Votre amie
Malitzin nous mit au courant de votre situation. J'appris seulement par elle
que vous poursuiviez doña Hermina et notre enfant... Je rencontrai Cortés, entre
nous soit dit très affecté de votre départ ! Il ne parlait que de vous d'un ton
aussi illuminé que désespéré... Peste, vous l'aviez mis dans un état, mais
n'ayez crainte, il ne sait toujours pas qui je suis... Grâce à Malitzin, je me
fis passer pour un mercenaire andalou, à la recherche de la fortune. Votre ami
Cortés me donna un laissez-passer et trois places sur un vaisseau pour
Tumbez... Vous devinez la suite, nous arrivâmes à Cajamarca, pour assister au
jugement et à l'exécution de l'Inca Atahualpa !
— Que dites-vous ? s'écria Zéphyrine en pâlissant.
Hernando
de Soto et Garcilaso de la Vega entraient sur ces entrefaites, couverts de sang
et de poussière.
— Hélas oui, Princesse, votre cousin Fernando a raison.
Fulvio
fit un signe d'intelligence à Zéphyrine pour lui signifier qu'il avait pris
cette identité vis-à-vis des Espagnols.
— Après
avoir reçu le trésor de l'Inca, Francisco Pizarro et Almagro ont fait avec le
père de Valverde un simulacre de procès. Ils ont condamné l'Inca à être brûlé
vivant, puis ils lui ont proposé de l'étouffer s'il acceptait d'être baptisé...
Le malheureux prince accepta. Il fut nommé Juan de Atahualpa. Le bourreau fit
son office et l'étrangla juste avant mon retour. Croyez-moi, princesse
Zéphyrine, j'en suis accablé, fit Soto. Vous aviez raison, ils se sont servis
de la mort de Huascar et du prétexte que l'Inca avait fait tuer son propre
frère pour... l'assassiner ! Je voulais que l'Inca soit jugé par Charles Quint
; j'ai peur, je dois l'avouer, car, avant de mourir, Atahualpa a maudit les
hommes blancs, en leur prédisant qu'ils seraient plus tard décimés par leur
folie de la poudre blanche, celle qui provient
des feuilles du coca [140] !
Le
courageux Soto tremblait dans sa cuirasse. Fulvio lui versa à boire.
— Allons, compagnon, ne croyez pas à ces contes de vieille
femme, seule la science est exacte, pour ma part je ne crois pas aux
malédictions.
— Votre cousin, princesse Zéphyrine, est homme de bonne
compagnie, j'ai apprécié sa présence, bien que jalousant un peu la sollicitude
qu'il vous porte ! lança Soto.
— Voilà à peu près toute l'histoire, Zéphyrine, reprit Fulvio,
ignorant la remarque de Soto. Nous fîmes connaissance avec le valeureux
Hernando, il me dit que vous étiez restée au Cuzco et je partis avec l'armée de
Pizarro. Nous eûmes en chemin quelques escarmouches et nous entrâmes dans la
ville pour la fête du Soleil... Je vous cherchais partout. Nous rencontrâmes
Garcilaso de la Vega, inquiet de votre sort. Il pensait que vous aviez été
entraînée par la foule dans le temple du Soleil. On murmurait qu'il s'y passait
des sacrifices humains. Gros Léon volait au-dessus de nos têtes quand il revint
à tire-d'aile en croassant : « Sardine ! Sang ! Soleil ! Secours ! » Avec Soto,
Paolo, quelques arquebusiers et un canon, nous pénétrâmes dans le temple du
Soleil. J'y trouvai Piccolo qui courait chercher
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