La Rose de Sang
le regard de
Charles Quint, de nouveau endormi, les effleura à peine. Zéphyrine douta que
l'empereur l'eût reconnue pour la dame ayant demandé le chemin. Elle en éprouva
un agacement soulagé. En se redressant, elle sentit, convergeant sur sa
personne, les regards de don Ramon, du capitaine Alarcón et du vice-roi de
Naples, Lannoy !
Charles Quint
offrait son bras à Marguerite, ce qui était une façon d'acquiescer. Zéphyrine
et les dames d'honneur emboîtèrent le pas et tout le cortège se mit en marche
vers la tour [21] .
— Va,
Gros Léon, chuchota Zéphyrine. Va rejoindre Corisande et... garde-la bien...
Viens me chercher demain matin. Tu as compris ?
— Séparer
! Serein ! Secours ! croassa l'oiseau avant de s'envoler au-dessus des tours.
A l'intérieur du
donjon, c'était un véritable fortin. Des hallebardiers et arbalétriers
gardaient toutes les issues, couloirs, antichambres et escaliers.
Le cortège s'était
engagé dans le grand escalier de pierre en colimaçon montant en haut de la
tour. Par les meurtrières, Zéphyrine apercevait, vers le sud, au-delà du
Manzanares perdu dans son lit sablonneux, une campagne fauve et aride.
Machinalement, Zéphyrine comptait les marches, deux cent dix... deux cent
onze... deux cent douze...
Devant, Marguerite
et Charles Quint grimpaient, pour des raisons différentes, de plus en plus
vite. Zéphyrine, comme toute la suite, commençait à être essoufflée, quand elle
sentit qu'on lui serrait le bras. C'était messire de Lannoy.
— Princesse
Farnello, chuchota-t-il, j'étais à votre mariage... Je ne suis pas votre
ennemi, assura le vice-roi de Naples, généralissime des armées de Charles Quint
en Italie.
Curieusement,
Zéphyrine avait plus confiance en lui, le vainqueur de Pavie à qui François I er avait rendu son épée, qu'en Alarcón, le boucher de Rome. Pourtant, elle
hésitait à parler. Lannoy insista :
— J'aimais
beaucoup votre mari, même si le jeu de la politique nous a séparés... Je vous
présente mes plus sincères condoléances pour son décès.
Zéphyrine agrippa
Lannoy par la manche de son pourpoint-
— Messire,
Fulvio n'est peut-être pas mort... Je suis ici pour implorer la mansuétude de
l'empereur. Je vous adjure, au nom du ciel, faites-moi rencontrer Sa Majesté...
que je me jette à ses pieds...
Lannoy fronça les
sourcils.
— Ne
faites pas cela. Résistez-lui, c'est ce qu'il aime... Je ne vous promets rien,
mais j'essaierai, Princesse, j'essaierai...
Zéphyrine l'aurait
embrassé. Lannoy monta rapidement se poster derrière Madame Marguerite et
l'empereur. Zéphyrine reprit son compte de marches, on arrivait dans l'antichambre gardée par une vingtaine
de hallebardiers. Zéphyrine calcula qu 'on devait se
trouver à plus de cent pieds au-dessus du sol. En admettant que François I er fût en bonne santé, c'était trop haut pour lancer une corde.
Le duc Anne de
Montmorency attendait dans l'antichambre. Avec émotion, Marguerite serra les
mains de l'ami d'enfance fait prisonnier, lui aussi, à Pavie, libéré et œuvrant
maintenant comme plénipotentiaire entre Charles Quint et son roi.
— Comment
va-t-il, Anne ?
— Mal,
Madame, très mal.
Marguerite s'appuya
sur le bras de Montmorency, et elle passa la porte la plus gardée du monde.
Outre les médecins qui s'y trouvaient déjà, une dizaine de personnes entrèrent
dans la chambre du prisonnier. Anne de Montmorency, Madame Marguerite et Charles
Quint en tête, suivis de Lannoy, Alarcôn, don Ramon, les quatre dames d'honneur
et Silvius, le valet de la princesse.
Zéphyrine se
rendait compte de la chance qu'elle avait de pénétrer, grâce au stratagème de
Marguerite, près de François I er . Elle se fit toute petite contre la
cloison, derrière la grosse Yolande de Neuville, et considéra les lieux avec
tristesse. Où était la splendeur de Blois et de Chambord? La prison de François
I er n'avait rien de royal. C'était une « mauvaise » chambre de
taille moyenne, accrue d'un renfoncement sur la droite, où se trouvaient deux
gardes, vis-à-vis d'une seule fenêtre à double grille de fer. Les murs étaient
toutefois tendus de tapisseries dont les motifs étaient des filets enfermant
dans chacune des mailles une salamandre et une fleur de lys.
Zéphyrine, qui avait connu le roi dans sa splendeur, en
avait les larmes aux yeux. Elle se mit sur la
pointe des pieds, car
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