La Rose de Sang
Mon
cher frère, quel honneur de... mourir entre vos bras, « ronronnait » François.
L'autre matou protesta.
— Non,
mon bon frère... vous... vous vi... vivrez... Ne pen... pensez pas à autre
chose. Vous vivrez, mon frère. Nous signerons un bon traité d'amitié entre nous
et entre nos peuples, réglant enfin la question de la Bourgogne, qui, vous vous
en souvenez, mon cher frère, me revient de droit ! répéta Charles Quint avec
une conviction rageuse.
Zéphyrine remarqua
que, lorsque l'empereur était vraiment pénétré de ce qu'il disait, il «
oubliait » de bégayer.
— Hélas,
mon bon frère, je n'entends plus rien, ma vue s'obscurcit. Voici les cloches et
trompettes... Je suis déjà entre les mains de Dieu. Vous avez juré de protéger
mes enfants... mon royaume... A... dieu... mon frère.
François I er se renversa en arrière. Jean de Nîmes, le premier médecin, s'approcha.
— L'état
de Sa Majesté empire.
Il lui souleva une
paupière.
Louis de Burgensis,
l'autre médecin, écoutait son cœur.
— Alors,
Messieurs? cria presque Marguerite.
— Hélas,
Madame... Le roi est à l'agonie.
— A
moins d'un miracle, demain matin il sera mort ! surenchérit Jean de Nîmes.
Marguerite se
tordait les mains de désespoir. Zéphyrine et les autres dames se redressèrent.
Après avoir salué Marguerite, Charles Quint sortait de la chambre. Au moment où
il passait devant Zéphyrine, elle l'entendit prononcer gravement pour don Ramon
ces mots :
— Dieu me l'avait...
donné..., Dieu me... me l'ôte [23] !
Pousser la
duplicité jusque-là, c'était trop !
Les médecins
étaient des imbéciles. Retrouvant soudain l'enthousiasme belliqueux de sa prime
nature, Zéphyrine décida :
Premièrement, de
soigner le roi !
Deuxièmement, de le
faire s'évader !
Troisièmement, de
passer à l'attaque du « cher frère ».
Chapitre X LA NUIT, A MADRID, TOUS LES CHATS NE SONT PAS GRIS!
La nuit est tombée
sur Madrid. Le roi de France se meurt. Au loin, des cloches sonnent le glas.
Dans les églises, on dit des messes publiques à l'intention de François I er .
Le bon peuple espagnol ressent une vive sympathie pour ce roi « martyr » et
prisonnier.
A l'Alcazar,
quelques fenêtres brillent, l'une en haut de la tour, l'autre au bout de l'aile
nord. Dans la chambre du moribond, Madame Marguerite, gentilshommes et dames de
la suite française reprennent la prière des agonisants.
Malgré trois
saignées, la fièvre du malade ne cesse de monter. La princesse n'a pas quitté
le chevet de son frère. A genoux près du lit, elle tient sa main.
Zéphyrine n'a pas
perdu son temps. Elle a réussi à attendrir les gardes pour descendre aux
cuisines. Les médecins, impuissants, ont quitté le chevet de François I er .
Dans leurs grandes robes noires, sous leurs chapeaux pointus, ils ronflent dans
les antichambres.
Portant un emplâtre et une décoction fumante dans un pot d'étain, Zéphyrine revient. Le garde n'hésite pas à la laisser rentrer dans la chambre du mourant. « Quelle importance, de toute façon le pauvre sera trépassé au matin ! » pense le soldat. Zéphyrine s'approche de Madame Marguerite. Elle lui touche l'épaule, chuchote :
— Madame,
le temps presse... Laissez-moi appliquer cette médecine sur la tête du roi.
Aidez-moi à le faire boire.
Marguerite secoue ses cheveux
décoiffés sous le touret.
— Ma
pauvre petite, vous avez entendu les médecins... Ce sont des ânes bâtés.
Madame, je vous en prie, un savant herboriste de mes amis, vivant à
Salon-de-Provence, Michel de Nostre-Dame...
— Vous
voulez parler du fameux Nostradamus, qui guérit, dit- on, la peste ? interroge
la princesse, incrédule.
— Celui-là
même, Madame. Par amitié, il m'offrit un de ses secrets, que je viens de
confectionner. Si vous appliquez de la poudre d'œillets mélangée à du bois de
cyprès, de l'essence de lavande, thym, violette et graines de tournesol pilées
avec de la moisissure de pain..., les humeurs quittent le malade... Il faut lui
faire boire aussi la décoction.
— De
la moisissure de pain ! murmure Marguerite, dégoûtée.
Le visage gonflé,
cramoisi, sur les oreillers de dentelle, François I er râle.
— Nous
perdons du temps, Madame, supplie Zéphyrine.
Marguerite voit son
frère perdu. Avec un geste fataliste, elle aide
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