La Rose de Sang

et son
bégaiement prononcé, on eût dit que Charles Quint était un bon jeune homme de
province. Seule la lueur de son regard attestait son intelligence supérieure,
sa fermeté impitoyable et parfois, Zéphyrine le pressentait, sa dissimulation
machiavélique.
    Charles de
Luxembourg, de Habsbourg, né à Gand, élevé à Bruxelles, empereur d'Allemagne,
au quart flamand, au quart autrichien, aux deux quarts espagnol quant à
l'hérédité, roi d'Espagne, fils de Philippe le Beau — archiduc d'Autriche — et
de la pauvre Jeanne la Folle de Castille, considérait, Zéphyrine le savait, le
duché de Bourgogne de son aïeul Charles le Téméraire comme apanage et héritage
de droit divin. La Toison d'or qu'il portait autour du cou en était la preuve
suprême. L'ordre de la chevalerie le plus élevé, institué à Bruges en 1429 par
le duc de Bourgogne Philippe le Bon en l'honneur de sa maîtresse Marie de
Crumbrugge, dont les beaux cheveux roux avaient été l'objet de quelques
plaisanteries...
    Sous le soleil, la
chevelure de Zéphyrine irradiait autant que la Toison d'or.
    —       Bon...
bonjour, ma... cou... sine, répéta Charles Quint.
    Il relevait
Marguerite d'Alençon. Il poussa la grâce jusqu'à déposer un baiser sur sa joue.
    —       Sire,
je remercie Votre Majesté d'avoir eu la gracieuse bonté de me faire remettre ce
sauf-conduit pour venir voir mon auguste frère.
    —       Hé...
hélas... Madame ma cousine..., notre cher... cher « frère » est au... au plus
mal.
    Sans le bras de
Charles Quint, Marguerite serait tombée d'émotion.
    —       Don...
Ra... Ramon, appela l'empereur.
    Aussitôt, le caballerizo s'approcha de son souverain. En homme habitué à
connaître ses désirs, ses pensées et, à l'occasion, à terminer ses phrases, don
Ramon salua et expliqua :
    —       Sa Majesté
l'empereur a le regret d'apprendre à Votre Altesse Royale que son « frère » le
roi de France souffre d'un bubon putride [20] dans la tête. Prévenue à Ségovie, Sa
Majesté a aussitôt dépêché ses propres médecins pour soigner le roi et a tenu à
venir en personne prendre de ses nouvelles. Mais, Madame, après trois saignées,
Sa Majesté ne peut cacher à Votre
    Altesse Royale que la fièvre
quarte s'est déclarée chez l'auguste malade.
    —       Mon
Dieu, Sire, Votre Majesté veut-elle m'annoncer que Messire mon frère doit
recevoir les saints sacrements? gémit Marguerite en s'adressant à Charles
Quint.
    —       Hé...
hélas... Madame, ve... venez, je... je vais... vous... con... conduire au...
auprès du roi.
    Malgré son émotion, la princesse Marguerite retrouva assez de présence d'esprit pour faire signe à quatre de ses dames,
dont Zéphyrine, de lui emboîter le pas.
    Le capitaine
Alarcôn, commandant de la forteresse et le général de Lannoy, tous deux
responsables du prisonnier, voulurent s'interposer.
    Avec la morgue des
Valois, qu'elle savait prendre à l'occasion, Marguerite lança :
    —       Est-ce
à dire, Messieurs, que nous ne sommes plus libres de nos faits et gestes ?
    Zéphyrine aurait
applaudi. Alarcôn et Lannoy prirent un air gêné.
    —       C'est que, Votre
Altesse... une évasion..., commença Lannoy, qui connaissait bien « son »
François I er .
    Excédée, la
princesse le coupa :
    —       Voulez-vous
insinuer, Généralissime, que nous avons l'intention, mes suivantes et moi,
d'enlever Monsieur mon frère mourant sous nos vertugadins ?
    Alarcôn et Lannoy
rougirent jusqu'aux oreilles. Zéphyrine eut l'impression que Charles Quint
réprimait une lueur amusée sous ses lourdes paupières. Il interrompit la
réponse de Lannoy.
    —       La...
pa... parole de... madame d'Alençon suffit.
    —       Sire,
je jure sur les Saints Evangiles de ne rien tenter autre que soulager la triste
maladie de mon auguste frère, répondit habilement Marguerite, qui profita de la
relative bonne humeur de Charles Quint pour continuer : J'ai l'honneur de
présenter à Votre Majesté mes fidèles suivantes : madame de Montbrillon,
mademoiselle de Neuville, mademoiselle de Boisy d'Ormeuse et... madame de
Bagatelle Fa... lo... toutes dames de bonne souche.
    Marguerite avait
préféré redonner à Zéphyrine d'abord son nom de jeune fille pour ensuite «
manger » le « Farnello » qui aurait pu résonner désagréablement à l'oreille
impériale.
    Tandis que
Zéphyrine et ses trois compagnes saluaient une nouvelle fois,