La Rose de Sang
la grosse Neuville lui cachait la scène. Dans le lit d'une alcôve, F rançois
I er gisait, inconscient. Il avait beaucoup maigri, Zéphyrine avait
du mal à reconnaître le fier chevalier, souverain d'une trentaine d'années,
dans ce vaincu, cet homme vieilli par la détention, au
visage émacié, mais aussi gonflé par endroits et d'un rouge luisant, au corps
secoué de frissons, à la chemise trempée, ouverte sur une si maigre poitrine.
— Hélas...,
mon frère chéri ! gémit Marguerite en se jetant à genoux au chevet du roi.
Elle avait saisi sa
main et la couvrait de baisers. A ce contact, François I er eut un
long frisson. Il ouvrit péniblement ses paupières. Dans une semi-conscience, il
reconnut sa sœur.
— Mar...
gue... rite, murmura-t-il. Vous venez... Mignonne... et... je meurs...
— Non,
je viens vous soigner, vous guérir, vous porter des nouvelles de Madame notre
mère... Regardez qui vient avec moi, qui vous fait l'extrême honneur de prendre
de vos nouvelles... L'empereur !
De son regard
glauque qui déjà ne voyait plus les choses terrestres, François I er considéra l'assistance qui entourait son lit. II ne paraissait reconnaître
personne.
Soudain, la petite
étincelle que Zéphyrine avait souvent vue dans ses yeux noisette, s'alluma pour
aussitôt s'éteindre. François I er avait distingué son pire ennemi,
celui qu'il n'avait jamais vu qu'en portrait, celui qui le maintenait « en
bonne prison », celui, enfin, qui lui avait toujours refusé une rencontre seul
à seul.
Pour Zéphyrine, ce
coup d'œil avait suffi. Certes, le roi était à demi mort, mais elle était
certaine que François I er , en grand stratège, avait décidé de se
servir de cette terrible maladie. Avec un râle, il avait renversé la tête en
arrière.
— Est-il
mort? murmura Charles Quint, trop ému pour bégayer.
Perdre ainsi son
otage royal si près du but était trop injuste. Charles avait besoin de François
I er vivant afin de signer un traité de paix avantageux... pour lui.
Les médecins
français et espagnols s'étaient précipités avec un miroir.
— Non,
Sa Majesté respire encore.
Ils passèrent de
l'eau de violette sous ses narines. François « revenait » à lui. Il essaya de
se mettre sur son séant, mais il était trop faible. Anne de Montmorency et
Lannoy l'y aidèrent.
François I er tendit les bras vers Charles Quint.
— Empereur, mon
Seigneur [22] ...
murmura-t-il dans un souffle.
Tout le monde
pleurait dans la pièce.
Soudain, l'incroyable se produisit. Charles Quint, vaincu par l 'émotion, se
précipita vers le malade, l'entourant de ses bras.
Les deux pires ennemis
demeurèrent un moment sans parler. Madame Marguerite était tombée à genoux et priait.
L 'assistance
l'imitait. La grosse Neuville cachait encore la vue du lit à Zéphyrine qui se déplaça sur la droite. Charles Quint serrait François I er à l'étouffer.
— Messire...,
mon Roi..., vous voyez ici votre serviteur et votre esclave..., reprit François
Ier d'une voix enrouée.
Zéphyrine ne savait si c'était la fièvre, l'émotion ou
l'étau de Charles Quint.
— Nenni,
mon bon « frère », protesta Charles Quint, je... je ne... vois que... que...
quelqu'un de li... libre et vé... véritable a... ami.
Un immense soupir
s'exhala de la poitrine de François.
— Je
ne suis que votre esclave, Sire... et recommande la clémence de Votre Majesté,
non pour moi-même, mais pour mes enfants..., mon fils aîné, héritier du trône
de France, trop jeune.
La voix du roi se
brisa. Charles Quint mêlait ses sanglots à ceux de l'assistance. Seule
Zéphyrine était inquiète : « François va trop loin, Charles Quint va
s'apercevoir qu'il se moque de lui ! »
Pourtant, François
I er continuait :
— La
grâce suprême... que je supplie Votre Majesté de m'accorder... est de protéger
mes enfants de leurs ennemis.
— Mon
frère, mon... cher frère... Nous vous... jurons de faire comme s'ils étaient
nôtres.
« Avec la Bourgogne
», pensa Zéphyrine.
— Et
de ne prétendre de mes enfants, mon cher frère, que ce à quoi ils seraient
obligés... Jurez-le, mon frère...
« Traduisez : Si je
n'ai pas signé de traité, ils ne seraient obligés à rien ! »
— Mon
bon frère, je le... jure, murmura Charles Quint, inquiet de la dernière phrase.
—
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