La Rose de Sang
Zéphyrine l'avait envoyé enquêter.
Le
choucas virevolta autour des tours crénelées avant de revenir se poser sur
l'épaule de Zéphyrine.
— Serpent
! Sud ! Séville ! affirma encore le choucas.
Ainsi,
doña Hermina avait dédaigné de s'arrêter à Tolède. Peut-être craignait-elle la
colère impériale !
Le
sort en était jeté. Tournant le dos à la cité, Zéphyrine et ses compagnons
passèrent le Tage.
Galopant
à perdre haleine, elle avait un goût âcre dans la bouche.
Au
bout de la route du sud, trouverait-elle son ennemie, la vengeance et son fils
Luigi ?
Dédaignant
la main tendue de Charles Quint, l'amour de don Ramon, le « pardon » et la
protection impériale, refusant de faire allégeance, la princesse Zéphyrine
Farnello devenait une rebelle.
DEUXIÈME PARTIE L'EMPIRE DE L'OR
Chapitre XVIII
SEVILLE
La
première pensée qui frappa Zéphyrine en entrant dans Séville fut : « Comment
retrouver doña Hermina dans ce caravansérail? »
Depuis
qu'un édit royal du 10 avril 1495 avait autorisé les sujets de Sa Majesté
Catholique à embarquer sur les traces de messire Christophe Colomb pour gagner
les Indes espagnoles, cela avait été une belle ruée : chacun voulait prendre sa
part de richesses du pays fabuleux de l'Eldorado. La petite ville calme de
Séville, reconquise sur les Maures au XIII e siècle, était donc
devenue, depuis un peu plus de trente ans, un véritable repaire de gueux,
brigands, aventuriers, marins, femmes de petite vertu, grands seigneurs,
valets, artisans, hidalgos ruinés, qui affluaient chaque année plus nombreux,
tentés par l'aventure.
Dans
les ruelles étroites, tortueuses et malpropres, sur les plazas, on ne voyait
que mines patibulaires, tas d'immondices et de fumier. L'odeur était atroce.
Sous le ciel bleu immaculé, la chaleur était suffocante. Laissant les faubourgs
populeux et pénétrant au centre de la Zéphyrine fut pourtant éblouie par la
beauté des monuments : elle levait la tête pour admirer la Giralda, minaret de
'ancienne mosquée devenu le clocher de la cathédrale qui dominait la cité.
Comme
dans toutes les villes d'Espagne, il y avait en plein centre la résidence
royale de l'Alcazar, au style hispano-maures avec ses arcs, ses décorations de
stuc, ses bains de sultanes, ses vastes cours, jardins, fontaines et jets
d'eau.
Quien
no ha visto Sevilla no ha visto maravilla (« Qui n'a vu Séville n'a vu merveille »), disait le proverbe.
Zéphyrine
commençait à penser que c'était vrai. La prospérité née du trafic entre
l'Espagne et les Indes de Castille, donnait à la capitale andalouse
une physionomie originale, de somptueuses richesses côtoyant avec insouciance
la misère des esclaves maures ou noirs.
A
son commerce, Séville ajoutait celui de la traite des Infidèles.
Dans
les beaux quartiers, les habitants étaient raffinés. Le, hommes portaient avec
élégance des vêtements de soie galonnée Les femmes, habillées d'étamines colorées,
marchaient très droites, à pas menus, ce qui leur donnait une noblesse d'allure
renommée dans tout le royaume. Elles avaient sur la tête de petits chapeaux
garnis de dentelles empesées dont elles se couvraient le visage avec grâce, ne
laissant voir qu'un œil.
Zéphyrine
et ses compagnons étaient épuisés par dix-sept jouis de course presque
ininterrompue. Il avait fallu, à plusieurs reprises, racheter des montures, et
la bourse de la princesse Farnello était plate.
Par
Gros Léon, Zéphyrine savait que doña Hermina n'avait que quelques heures
d'avance sur ses poursuivants. Les trois compagnons prirent une chambre dans
une auberge assez propre du quartier de la cathédrale. Après s'être restaurée
et avoir changé sa chemise poussiéreuse, Zéphyrine laissa la pauvre Pluche
reposer son postérieur endolori. Avec Piccolo et Gros Léon, elle descendit sur
les berges du Guadalquivir.
L'animation
de la ville n'était rien en comparaison de l'activité du port. Sous un soleil
brûlant, les portefaix chargeaient avec des cris les galions, les pataches,
galères, caravelles, hourques, galizabras...
De
soixante à quatre-vingts grands vaisseaux de haut bord se remplissaient de
viande séchée, poissons salés, biscuits, huile, vins, auxquels s'ajoutait la
gigantesque masse des munitions pour les artilleries : boulets pouvant aller
jusqu'à cent vingt livres, tonneaux de poudre, balles de plomb, armes, arquebuses, couleuvrines et
sarbacanes.
Sur
le fleuve,
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