La Rose de Sang
contraste : luxe et gueuserie, piété et crime...
Elle avait vendu ses dernières perles chez un usurier. Grâce à l'or obtenu,
elle distribua des oboles, espérant un renseignement, une piste.
Rien
n'y faisait. Doña Hermina paraissait s'être volatilisée.
Un
horrible doute s'insinuait en Zéphyrine. « Peut-être s'était-elle jetée tête
baissée dans une mauvaise direction ? »
Après
tout, les seuls renseignements qu'elle avait provenaient de Gros Léon. Le
choucas s'était-il de bonne foi trompé ? Doña H ermina était-elle restée
à Tolède, réconciliée avec « Charles qui triche »? A moins
qu'elle n'ait réellement filé sur Salamanca. Elle était aujourd'hui bien à
l'abri au Portugal.
Désespérée,
Zéphyrine se torturait l'esprit. La nuit, elle ne pouvait dormir. Ressassant
ses idées, elle ne s'assoupissait qu'au petit jour.
Un
matin, Zéphyrine se réveilla en sursaut, le nez contre le dos de Pluche. Sur la
mauvaise descente de lit, Piccolo se redressait. Gros Léon bâillait sur la
corniche d'un bahut.
On
battait tambour dans les rues.
Vêtus
en un tournemain, Zéphyrine et ses compagnons suivirent les Sévillans qui
couraient à grands cris vers le Guadalquivir.
C'était
jour de départ. Du mois de mai à septembre, la flota appareillait
régulièrement.
Quelle
liesse pour le bon peuple massé sur les berges du fleuve. Afin de mieux se protéger
des « maudits corsaires » français et anglais qui tournaient comme des chiens
autour de l'or espagnol, la flota de Charles Quint avait ordre de ne partir
qu'en convoi de dix à quinze bâtiments, parfois plus, jamais moins, les
bâtiments de commerce étant entourés de bateaux de guerre et de galères.
C'était
une vision enchanteresse de voir les voiles se gonfler doucement, entraînant
les coques chamarrées des vaisseaux sur les flots verts du Guadalquivir.
Une main sur les yeux afin de se protéger du soleil déjà
fort, Zéphyrine regardait le spectacle au milieu de la foule massée sur les
quais.
— Le Trinidad!
— La Doncella !
— Le Don Benito !
— Santa
Clara !
—
Le Santiago !
Les Sévillans se désignaient du doigt les vaisseaux,
reconnaissant leurs noms gravés en lettres d'or sur la poupe.
— Les départs, c'est beau. Mais j'aime mieux les retours,
grogna un drapier, voisin de Zéphyrine.
— Pourquoi
cela, Señor? interrogea poliment la jeunefemme.
— Mamá
! Jeune innocent, protesta le drapier. C'est qu'auretour les vaisseaux
sont remplis et nous apportent la richesse. Le 8 d'avril dernier, mon petit
gars, tu aurais vu cela. Ils mirent six jours pour décharger cent trois
charretées d'argent, d'or, de perles, pierreries et de soieries... Jamais être
vivant n 'avait vu telles merveilles. Aïe ! aïe ! aïe !
Le
drapier se signait avec un enthousiasme rétrospectif.
«
Et moi, je n'ai jamais vu personne aimer autant l'or que ces gens... » songea
Zéphyrine.
Elle
s'éloigna du drapier pour descendre plus près de la berge. Elle pouvait
entendre les cris des maîtres d'équipage ordonnant les manœuvres.
Parmi
le tumulte, un croassement de Gros Léon fit tressaillir Zéphyrine.
— Satan ! Santiago !
Le
regard de Zéphyrine chercha le vaisseau. C'était un grand galion de deux mille
tonneaux avec deux ponts et quatre étages sous la poupe. A en juger par son
fanion, il s'agissait du Nao Capitana [57] commandant le convoi.
Plus
lourd qu'une nef, mais plus facile à manœuvrer en raison de sa coque allongée,
ce galion rutilant glissait sur les flots à moins de cent vingt brasses de la
rive.
Dans
la mâture, les grumetes [58] faisaient la manœuvre, dépliant les voiles à la latine et le perroquet
suffisamment pour faire avancer le bâtiment.
— Santiago! Sacristi! Santiago ! répétait Gros Léon, énervé, en tournoyant autour de Zéphyrine.
Le
soleil éblouissait la jeune femme. Comprenant ce que son choucas cherchait à
lui dire, Zéphyrine détaillait les passagers de marque qui se tenaient à la
poupe du navire.
«
Un gros capitaine, son second, un pilote-major, deux hidalgos, le capellán [59] , un cometa [60] qui s'époumonait à souffler dans son
instrument... Une femme voilée
de noir était accoudée de profil à la fine
balustrade de bois doré. »
Zéphyrine
frémit. Elle connaissait cette allure, cette silhouette altière de panthère
sauvage. Comme mue par le regard qui Rattachait
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