La Rose de Sang
Avez-vous
une réputation irréprochable ? De bonnes mœurs ? Etes-vous
pieux ? Bons catholiques ? N'êtes-vous point hérétiques ? luthériens ? juifs ?
morisques [62] ? gitans ? Etes-vous baptisés?
N'avez-vous point de maladies... telles que le mal italien [63] ...
Jurez-vous de n'être pas moreno (noir)? indien? mulâtre ? castizo (métis clair) ou coyote (métis foncé) ? Etes-vous prêts, en bons catholiques, à baptiser les indigènes
avant de les rendre à Dieu...?
La
liste des préjugés continuait, longue. A plusieurs reprises, Zéphyrine, qui se
faisait passer comme ses compagnons pour un Aragonais, dut calmer les ardeurs
de Pluche qui voulait tancer le bureaucrate.
— Vous n'avez pas trop mal répondu. Vos dossiers seront étudiés
par Leurs Seigneuries, les officiers de la Casa, mais ne comptez pas partir par
le prochain convoi dans dix jours... Au mieux, dans quatre ou cinq lunes.
Cette
nouvelle, lancée par le commissaire d'un air bonasse, était atroce. Cinq lunes
! Où serait passée doña Hermina? Avec seulement quinze jours de retard,
Zéphyrine pouvait espérer, si les vents étaient bons, rejoindre sa belle-mère
ou savoir vers quelles terres elle se rendait avec Luigi.
— Quels crétins ! Non mais, quels abrutis !
Comme
un taurillon furieux, Zéphyrine dévala les marches de la Casa et... alla donner de la tête contre le pourpoint d'écaillés d'un
gentilhomme.
— En voilà des façons, jeune enragé !
Zéphyrine
essaya de se dégager de la main de fer qui la m aintenait.
— Tout doux, excuse-toi, mon gars, ou je vais t'étriller,
menaça le gentilhomme.
Pour la forcer à saluer, il maintenait la tête de Zéphyrine contre son pourpoint.
Elle se débattait. Elle réussit à lever les yeux et murmura, stupéfaite :
— Señor Cortés !
Diamants aux oreilles,
casqué, un panache sur le côté, vêtu d'étoffes somptueuses, c'était le
conquistador. Devant le minois aux larges yeux verts de ce page effronté,
Hernán Cortés fronça les sourcils.
— Dieu me damne, serait-ce... ?
— Oui, Zéphyrine de Bagatelle, chuchota la jeune femme.
Assez
étonné, Cortés entraîna Zéphyrine vers une aile plus calme de l'Alcazar.
— Señora, par le ciel, si je m'attendais... Je vous croyais à
Barcinona. N'auriez-vous pas eu mon message? s'inquiéta le conquistador.
Zéphyrine
le rassura et le remercia en lui affirmant qu'elle avait fait le nécessaire.
— Que diable fabriquez-vous ici et dans ce costume ?
Sans
révéler au conquistador qu'elle était rebelle aux ordres de Charles Quint et
devait se cacher sous une autre identité, Zéphyrine se contenta d'expliquer son
angoisse de mère.
— Bigre,
un enfant enlevé sur le Santiago!
— Messire Cortés, je veux m'embarquer par le prochain convoi,
on me fait mille difficultés. Si vous pouviez m'aider! supplia Zéphyrine.
Le
regard de Cortés se fit insistant. Il la détaillait des pieds à la tête.
— Cette Armada est la nôtre, Madame, lança-t-il avec la superbe
qui convenait à son titre de vice-roi. Nous pourrions sans doute fermer les
yeux pour vous laisser monter à bord... Vous êtes encore plus belle en garçon
qu'en personne de votre sexe... Savez-vous que vous me donnez des désirs contre
nature, joli page?
Zéphyrine
frémit à la fois de la possibilité qui s'offrait à elle et des mains qui
caressaient sans façon son pourpoint.
— Messire Cortés, je vous en prie, donnez-moi trois cartes
d'embarquement.
— Trois, comme vous y allez... Je le voudrais du fond du cœur,
mais nous voyez-vous sur le bateau ensemble quatre-vingt dix jours... ? Belle
dame, c'est que je suis franc, votre vertu me démangera par trop.
Cortés
se jouait de Zéphyrine. Elle décida de louvoyer.
— Vertu, le triste mot... Qui parle de vertu, Seigneur?
— Hélas, vous, Señora... La dernière fois que nous nous vîmes,
votre vertu nous séparait.
Cortés
gardait visiblement une certaine rancœur de la façon dont les choses avaient
tourné. Il s'éloigna de Zéphyrine. Celle-ci le gratifia d'un sourire
étourdissant.
— La dernière fois n'est pas la prochaine fois, Messire.
— Ce qui veut dire ?
— Oublions le passé pour ne penser qu'à l'avenir.
Le
ton était prometteur. Cortés revint vers la jeune
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