La Sibylle De La Révolution
difficulté. Il y avait une certaine
impression de familiarité dans ces mots assemblés de manière étrange.
Formaient-ils une sorte de rébus, étaient-ils extraits d’un texte ? Ce
chiffre, 666, lui disait quelque chose, mais quoi ?
Irrité, il fourra le papier
dans sa poche et tenta de penser à autre chose. Il rédigea un billet à
l’intention de Vadier. Il n’était pas bon de laisser le Grand Inquisiteur sans
nouvelles :
Citoyen Vadier,
C’est avec le plus grand zèle
que je me suis acquitté de la mission que tu m’as confiée. Sache que j’ai pris
contact avec ce Saint-Germain qui n’est qu’un imposteur mais semble connaître
les gens que nous cherchons. Il m’a arrangé un rendez-vous pour ce soir. Je
dois m’y rendre avec la plus grande discrétion, aussi je ne te remets pas mon
rapport en main propre et, pour des raisons évidentes de sécurité, je resterai
peu disert dans ce courrier. Sache néanmoins que notre enquête avance aussi
bien qu’elle le peut et que je pourrai prochainement t’apporter des résultats
qui te satisferont pleinement. Signé : Gabriel-Jérôme Sénart, secrétaire
rédacteur auprès du Comité de sûreté générale.
Il sortit rue de Tournon et
remit un peu de pain à un gosse des rues en lui promettant la même chose s’il
revenait avant la fin du jour porteur d’une réponse.
La journée passa, morne. Sénart
regardait par la fenêtre les passants s’affairer rue de Tournon. Il y avait des
échauffourées, des querelles de voisinage, des enfants qui couraient un peu partout,
des petits métiers qui tentaient de subsister tant bien que mal. La Révolution
avait-elle changé tout cela ? Maintenant, on se battait pour un peu de
nourriture et on dénonçait aux Comités celui qui semblait manger à sa faim car
il fallait être accapareur ou agioteur pour avoir l’estomac rempli. Pour un oui
ou pour un non on prévenait la milice du secteur, voire la garde nationale, on
agitait les piques, on se coiffait du bonnet rouge, on arborait fièrement les
trois couleurs de la France. Pas tellement par patriotisme mais plutôt par
peur. Depuis deux ans déjà, seuls les plus ultras avaient droit à la parole,
eux seuls avaient survécu, les modérés s’étaient vus dénoncés, accusés de pactiser
avec l’ennemi. Il semblait que la Révolution n’était plus qu’une monstrueuse
machine, emballée, sans maître, et qui ne pouvait survivre que dans toujours
plus d’extrémisme, toujours plus de positions radicales, de mesures désespérées
et au final toujours plus de morts. Jusqu’où iraient Robespierre et ses
complices du Comité de salut public ? Qui pouvait se dresser contre lui,
maintenant ? Vadier ? Il tenait trop à sa propre vie et l’intérêt du
peuple l’indifférait. Il profiterait des circonstances tant qu’il le pourrait
et s’éclipserait au premier retournement de situation.
Sénart voyait l’avenir bien
sombre et il se demanda un instant si la Sibylle n’avait pas eu les mêmes
intuitions que lui. Voilà qui expliquerait peut-être son accès de mauvaise
humeur. Impossible de savoir ce qui se passait dans la tête de la jeune femme.
Il rumina ainsi de nombreuses
heures. Fouilla dans les livres disposés sur les étagères du cabinet de voyance
et eut la surprise d’y trouver une monographie écrite par un Anglais et adressée
à la Convention. L’homme, un certain Bentham, exposait les plans d’une prison
où chaque prisonnier serait surveillé nuit et jour sans même qu’il puisse voir
ses geôliers. L’image lui donna la chair de poule et, malgré les dangers de sa
mission, c’est presque avec soulagement qu’il vit le jour décroître.
Le gamin revint, avide de pain.
Il lui apportait la réponse de Vadier :
Mon cher Sénart, je n’en
attendais pas moins de toi. Continue ta mission et n’oublie pas de m’en
rapporter régulièrement les résultats. Tu veilleras aussi à conserver la
Sibylle sous ta coupe. Méfie-toi d’elle comme d’un serpent – qui est sa
représentation au tarot si je ne me trompe –, car elle a plus d’un tour
dans son sac. Tu abordes une partie délicate de ta mission car c’est vraiment
dans l’antre de ces criminels que tu vas être admis. Conserve une discrétion
sans faille et, surtout, n’oublie pas une chose : si monstrueuses soient
leurs méthodes, ces gens-là nous sont beaucoup plus utiles vivants que morts.
J’attends de tes nouvelles très vite.
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