La Sibylle De La Révolution
d’aucune utilité.
— J’ai du courage et de la
volonté ! déclara fièrement Gabriel-Jérôme.
Il ne pouvait plus distinguer
l’expression du visage de son interlocuteur mais il y avait dans sa voix une
ironie de mauvais augure.
— L’un et l’autre se verront
sollicités. Que vous apprend l’Apocalypse ?
Une nouvelle question. Et cette
fois-ci la Sibylle ne lui avait donné aucune indication.
— Qu’un nouveau règne va
arriver. Celui de la bête, hasarda-t-il.
— La bête est la vision que les
dévots ont de cet ordre nouveau. Le règne de la République naturelle va bientôt
survenir. Celui que les prophètes prévoient depuis tant d’années. Celui qui va
bouleverser l’ordre du monde. C’est notre maître à tous qui l’envoie. Le fils
de Satan en personne va descendre parmi nous et rétablir l’ordre et la justice.
— C’est donc le diable lui-même
qui régira la République ? s’étonna le jeune homme.
L’ecclésiastique lui renvoya un
regard sévère :
— Le diable… Ce n’est là qu’une
invention de cagots. Satan est le seul et vrai Dieu. Son fils viendra nous
sauver et sa venue est proche. Adorez-vous le dieu des chrétiens ?
demanda-t-il sur un ton sévère.
— Voilà bien des années que je
ne suis pas allé à la messe, répondit-il.
— Parfait ! Néanmoins, si
vous rejetez les postulats stupides, les dogmes abrutissants du dieu d’Abraham
et de Jacob, ne ressentez-vous pas ce besoin d’invoquer un être qui vous soit
infiniment supérieur.
— Je suppose que c’est humain.
— Parfait, alors apprenez
qu’avant de nous envoyer son fils, Satan, ou devrais-je plutôt dire Dieu, car
Satan est le seul et vrai Dieu, nous a envoyé quatre-vingt-dix-neuf démons. Ces
démons se sont répandus à la surface de la Terre.
— N’aurai-je pas le privilège
d’en contempler un prochainement ?
Il avait parlé sur un ton
léger, amusé par le discours du faux prêtre. Mais le ton ironique qui lui
répondit le déstabilisa :
— Si fait, monsieur Sénart.
Vous le verrez. Ce sera peut-être même la dernière chose qu’il vous sera donné
de voir. Vos épreuves ne sont pas finies, je vous l’ai déjà dit.
Il connaissait son nom.
Svendenborg avait-il parlé ?
— Quand aura lieu la suite de
mon admission ?
— Ne soyez pas trop pressé.
Toute chose vient à son heure. Nous vous recontacterons. J’ai eu beaucoup de plaisir
à échanger avec vous, monsieur Sénart. Il est possible que vous fassiez un excellent
frère de l’ombre mais c’est notre centième frère, celui qui nous a été envoyé
par Satan, qui en décidera. Et, croyez-moi, il sait reconnaître l’imposteur du
compagnon sincère. Vous attendrez notre signal. Bien entendu, je n’ose même pas
vous rappeler de garder le silence le plus complet sur ce que vous avez vu et
entendu.
— Vous ne me demandez même pas
une promesse.
Cette fois-ci, le petit homme
s’esclaffa :
— Une promesse ! Mais à
quoi cela servirait-il ? Si vous parlez, nous le saurons et si nous le
savons, vous mourrez ainsi que ceux à qui vous aurez dévoilé nos secrets. Et ce
n’est pas d’une mort douce dont je vous parle. Adieu, monsieur Sénart.
Le petit homme renfonça son
chapeau sur son crâne emperruqué et s’éloigna à vive allure vers le
maître-autel.
« Au diable la
prudence ! se dit Sénart en le voyant s’éloigner. Je n’aurai sans doute
jamais une occasion comme celle-là ! »
Et il se précipita à sa suite.
Il n’avait pas de pistolet mais l’homme lui rendait au moins un pied en taille
et il était notablement plus âgé que lui. Il atteignit un grand pilier
lorsqu’il eut l’impression d’être plongé dans les ténèbres les plus absolues.
« Que se
passe-t-il ? »
Mais il n’eut pas l’occasion de
réfléchir plus avant à ce phénomène. Une silhouette se dressait devant lui.
Grande, puissante, tordue comme si les flammes de l’enfer lui avaient léché la
peau de tout le corps. Comme si quelque bourreau dément lui avait arraché l’épiderme.
Et la chose le regardait. Un bref instant, il aperçut deux yeux injectés de
sang, une mâchoire énorme, presque à nu, un cou épais et aux muscles tendus
telles les cordes d’un piano.
Cela grondait. Il se demanda
pourquoi jusqu’à ce qu’il s’aperçoive que c’était contre lui que la créature en
avait. Elle fit un pas, puis deux.
Sénart recula avec
précipitation. Il heurta une rangée de bancs qui
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