La Sibylle De La Révolution
menton. Sénart relâcha son étreinte.
— Sois-moi fidèle et tu auras
une chance de vivre. Si je parviens à m’introduire dans cette organisation
criminelle, je pourrai la réduire, alors tu n’auras plus rien à craindre d’eux.
Ta vie contre ton aide. Voilà mon offre et je te suggère de l’accepter.
L’homme sembla peser le pour et
le contre. Puis brusquement, sa figure s’épanouit en un sourire de mauvais
augure.
— D’accord, citoyen. Vous les
rencontrerez, je vous en donne ma parole. Il me suffit d’un peu de temps. Oh,
pas grand-chose. Une journée, deux peut-être, et ils prendront contact avec
vous, j’en suis persuadé. Mais quel nom devrai-je donner ?
Il allait répondre, mais
Marie-Adélaïde fut plus rapide :
— Dis-leur simplement qu’un
gentilhomme aux belles manières très influent à Paris souhaite les rejoindre.
Pour l’instant, ils n’ont rien à savoir de plus.
Svendenborg s’inclina :
— Il en sera ainsi,
monseigneur, c’est un grand plaisir de traiter avec un homme d’honneur tel que
vous.
Il se pencha par la fenêtre.
— Hum, nous approchons du
faubourg Saint-Martin. Il est temps que je vous laisse. À très bientôt,
monseigneur. Madame, je n’ai que le regret de ne pas vous avoir connue un peu
plus longtemps.
— Hé ! Où vas-tu ?
L’homme s’apprêtait à partir et
posait déjà la main sur la poignée de la porte. Sénart se précipita pour l’en
empêcher mais l’autre fit un geste. Le jeune homme ne vit pas ce dont il
s’agissait. D’ailleurs, il n’en eut pas le temps. Une explosion l’aveugla un
bref instant pendant qu’une odeur pestilentielle de soufre se répandait dans la
voiture. La fumée l’empêchait de respirer, néanmoins, il se précipita à
l’extérieur.
Rien. La rue était vide, pas
même un bruit de pas. À peu de distance, on apercevait le poste de garde de la
porte Saint-Martin, absolument paisible.
— Co… comment a-t-il
fait ? s’exclama-t-il. Ce n’est pas possible, cet homme est un
magicien !
À ces mots, Marie-Adélaïde se
mit à rire :
— Tu es tellement naïf,
citoyen. Il a utilisé contre toi un truc vieux comme le monde. Tu n’es jamais
allé au théâtre, peut-être ? Un petit feu d’artifice et wouf ! Le
diable disparaît. Et toi, tu te fais avoir. Tu es tellement mignon…
Sénart se rassit dans la
voiture, horriblement vexé. Il n’en savait d’ailleurs pas la principale raison.
La fuite du faux Saint-Germain ou l’attendrissement de sa prisonnière.
8
Sénart dormit dans la salle de
consultation de la voyante, rue de Tournon. Il s’étendit sur le sofa après
s’être débarrassé de son déguisement et avoir retrouvé avec bonheur son
uniforme révolutionnaire. La Sibylle l’avait quitté avec ces mots :
— Je crois que tu aspires au
repos, citoyen. Profite de mon hospitalité.
— Mais je dois avertir Vadier,
avait-il protesté d’urgence.
Elle s’était penchée vers lui
jusqu’à le toucher. Malgré les périls de la nuit, elle était divinement belle
dans sa robe de déesse.
— Le citoyen Vadier se repose
sans doute à cette heure-ci, ou alors il goûte des plaisirs de la Bande noire,
la maison de plaisance que possède son ami Barère à Clichy.
Le jeune homme sursauta :
— Comment es-tu au courant de
cela ?
Elle rit.
— Tes patrons jouent double jeu
avec les Anglais, c’est bien connu. Dans le cas d’un brusque retournement de
situation… Ça commence à se savoir entre Paris et Londres. Mais dors en paix, j’ai
d’autres chats à fouetter qu’aller révéler ce genre de secrets.
— Crois-tu que ce Suédois nous
recontactera ou bien s’est-il enfui en profitant de notre naïveté ?
— De ta naïveté !
Rassure-toi, il ne nous laissera pas dans l’ignorance. Et sais-tu pourquoi ?
— Il a plus peur du
gouvernement révolutionnaire que de cette Loge Noire.
Tout de suite, elle reprit un
ton sérieux :
— Détrompe-toi, il a bien plus
peur de la Loge que de la Révolution et de tous les Comités réunis. Il
reviendra parce qu’il pense obtenir de nous une protection. Peut-être pas celle
que tu crois d’ailleurs. Il est persuadé que la loge se rira de tous nos
efforts contre elle ; par contre, s’il amène un nouvel adepte, sans doute
gagnera-t-il du temps.
Tout en parlant, Marie-Adélaïde
l’avait regardé droit dans les yeux, sans ciller. Il secoua la tête.
— Ces gens ne peuvent pas avoir
un tel pouvoir.
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