La Sibylle De La Révolution
arrêter !
V : C’est une très
mauvaise idée, citoyen. Tout d’abord, s’il est un des meneurs de cette
organisation, il n’en est sûrement pas le seul maillon. En outre, et c’est
beaucoup plus grave, il est un ami personnel de Robespierre qui lui a délivré
un certificat de citoyenneté. Autant dire qu’il est à peu près intouchable en
l’état actuel du pouvoir. Tu dois continuer ta mission et t’introduire plus
avant dans cet ordre. Pourquoi as-tu peur ainsi ? Selon ce que j’en sais,
dom Gerle n’est pas un assassin, plutôt un mystificateur.
S : Un mystificateur.
Peut-être pas autant que nous le pensons. J’ai vu quelqu’un d’autre avec lui
lorsque nous nous sommes séparés…
V : Quelqu’un
d’autre ? L’as-tu reconnu ?
S (il hésite) : Non,
c’était juste une silhouette, une ombre entraperçue dans les allées de la
cathédrale. J’ai eu la nette impression que ce n’était pas un être humain.
V : Qu’est-ce qui te fait
penser cela ?
S : Sa taille d’abord, il
était gigantesque.
V : Il existe des hommes
grands, cela ne les rend pas plus dangereux pour autant. Notre rasoir
républicain est là pour les ramener à de plus justes proportions !
S : Ce n’est pas que la
taille. Ce que j’ai vu n’avait pas l’air… humain. C’était comme un démon
échappé de l’enfer. Je n’ai jamais vu quelque chose de la sorte.
V : Un démon ?
S : Oui. Selon
Saint-Germain, cette loge qui réunit des frères de l’ombre aurait
quatre-vingt-dix-neuf membres. Le centième serait envoyé par Satan.
V : Momeries que tout
cela ! Tu l’as cru ?
S : Je me suis rappelé
Tavannes et sa mort hideuse. Je crois que, s’il est une créature au monde
capable d’accomplir un tel crime, d’escalader le mur jusqu’à la fenêtre du
cabinet de réflexion et d’arracher les membres du malheureux comme s’il
s’agissait de vulgaires ailes de mouche, c’est bien celui que j’ai vu. Citoyen,
j’ai peur qu’ils ne me suivent, j’ai peur que le moindre mot, le moindre
comportement suspect n’attirent leur attention. Et alors, je pense que tu retrouverais
mon corps victime de quelque odieuse mutilation. Ils ne plaisantent pas.
Saint-Germain, qui est un imposteur, et qui les a rejoints parce qu’il ne les
prenait pas au sérieux, en a une peur bleue, or, cet homme ne craint ni Dieu ni
Diable. Par contre, une mort comme celle de la rue des Ménétriers…
V : Et que veux-tu
donc ?
S : Je veux une totale
liberté de mouvement. Je veux pouvoir mener cette enquête comme je l’entends.
C’est moi qui prendrai l’initiative de t’envoyer les rapports. C’est moi qui te
contacterai. Ne me recherche pas, ne me fais pas surveiller. Et surtout que
personne ne soit au courant de cette affaire. Il en va de ma vie.
V (après un instant de
réflexion) : Ta vie n’a guère d’importance, citoyen. Des intérêts
supérieurs sont en jeu. D’accord, je te laisserai le champ libre. Mais ils ont
peut-être des oreilles aux Comités puisqu’ils sont si terribles et rusés que cela.
À partir d’aujourd’hui, tu seras un proscrit. Un transfuge recherché pour activité
contre-révolutionnaire. Ta tête sera mise à prix.
S : Quoi ? Tu ne peux
pas faire cela, ce n’est pas possible !
V : Si, dans ton propre
intérêt. En même temps, cela me donne une hypothèque bien utile sur ta
fidélité. Ainsi, tu n’auras pas la tentation de quitter la capitale et
d’abandonner ta mission. Continue tes recherches mais fais attention à la garde
nationale, ils te chercheront activement. Tout au plus je ne leur révélerai pas
que je t’ai vu aujourd’hui. La chose est dite. Tu n’as plus qu’une heure devant
toi. Le temps de rentrer à l’Hôtel de Brionne et ton signalement sera envoyé à
tous les postes de garde et à tous les bons citoyens. Une dernière chose, où
est donc notre amie, la Sibylle ?
S (très affecté) : Je
l’ignore, citoyen. Elle a quitté son domicile et je ne l’ai plus revue.
V : Tu avais cette femme
sous ta garde. Tu as commis une faute très grave, citoyen, et tu me déçois
beaucoup. Aider une condamnée à s’évader est passible de la mort !
S : Mais alors que
m’arrivera-t-il, même si je réussis à découvrir la loge des frères de
l’ombre ?
V : Si tu y parviens et si
tu me rapportes la Sibylle tu auras la vie sauve. Ne discute pas, citoyen,
c’est mon dernier mot.
Dès qu’il eut prononcé ces
paroles, le citoyen
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