La Sibylle De La Révolution
s’effondra sous son poids.
Lorsqu’il put enfin se redresser, la chose avait disparu, ainsi que
l’ecclésiastique. Il frissonna. Cette vision n’avait duré que quelques
instants. Une fraction de seconde. Toutefois, il en eut la certitude : ce
qu’il avait vu ce soir dans Notre-Dame n’était indubitablement pas humain.
9
Citoyen Vadier,
Il faut que je te rencontre afin
de te communiquer les derniers résultats de mon enquête ; néanmoins, je
dois absolument, et je t’expliquerai pourquoi, conserver une parfaite
discrétion. Je puis en effet être surveillé, suivi. Tu pourras me voir ce soir
devant la maison du Temple. J’y serai vers onze heures. L’idéal serait que
personne ne te reconnaisse. Je te conjure de respecter ces quelques conseils.
Il y va de la réussite de notre enquête et accessoirement de ma vie.
Signé : Gabriel-Jérôme Sénart.
Témoignage du citoyen Duglas
devant le Tribunal révolutionnaire réorganisé par la loi du 8 nivôse an
III :
Le citoyen Vadier vint nous
mander vers neuf heures, Lepoulet et moi. Il nous ordonna : « Laissez
vos bonnets et vos piques, mettez une veste de bourgeois et suivez-moi sans
poser de questions. » Lui-même avait revêtu une tenue discrète qui ne lui
ressemblait pas. Depuis plusieurs jours nous étions mêlés aux errances du
ci-devant Sénart et contraints de nous prêter à ses caprices, aussi cette dernière
péripétie ne nous surprit qu’à moitié. Il nous ordonna de dissimuler chacun sur
nous deux pistolets mais de ne nous en servir qu’en cas d’absolue nécessité. Il
ne s’agissait pas d’une procédure ordinaire, néanmoins, il n’y avait là rien de
particulièrement illégal. J’ai estimé que le citoyen Vadier, contraint de se
déplacer pour quelque affaire secrète, souhaitait que des hommes sûrs et de
bons républicains assurent sa protection.
Nous nous sommes rendus à la
nuit tombée devant la prison du Temple et avons attendu. Il nous a demandé de
nous poster devant l’entrée de l’hôtel du Grand Prieur et de ne pas le perdre
de vue une seule seconde. Nous ne devions intervenir qu’à son signal ou si sa
vie paraissait menacée. C’est vers dix heures que nous avons aperçu Sénart qui
se dirigeait dans notre direction. Lui aussi avait délaissé son uniforme pour
revêtir un habit plus discret, mais je suis persuadé de l’avoir reconnu, même
si je n’ai pas de preuve à vous en apporter. Je me suis approché pour écouter
leur conversation, car je pressentais, à cause du caractère très nettement
suspect du ci-devant Sénart et de ses activités contre-révolutionnaires,
qu’elle présenterait un grand intérêt. Je n’ai pas été déçu, citoyens, puisque
le dialogue qui suit a eu lieu. J’ai tenté de le reconstituer de mémoire et il
se peut que telle ou telle expression n’ait pas été employée ou qu’un mot ou
deux ne figurent pas à leur place exacte, mais, au nom de l’Être suprême, je
vous garantis que tout cela est vrai.
Vadier : Eh bien Sénart,
que signifient tous ces mystères ?
Sénart (qui semble effrayé et
regarde souvent par-dessus son épaule) : Citoyen, ma mission avance bien.
En fait, mes recherches remplissent toutes mes espérances. Je suis maintenant
prêt à m’introduire dans cette organisation criminelle.
V : Voilà qui est parfait,
mais avais-tu besoin de me faire mander en ces sombres lieux si tard le
soir ? Et pourquoi n’es-tu pas venu au Comité me faire ton rapport ?
S : Citoyen, les choses ne
sont pas exactement comme nous le pensions au départ. Je crains que ceux que nous
recherchons ne soient beaucoup plus redoutables que nous ne l’imaginions. J’ai
eu l’occasion de rencontrer l’un d’eux…
V : Tu l’as vu à visage
découvert ?
S : Oui, il ressemble à un
prêtre. Il est âgé d’à peu près cinquante ans.
V : Pas très grand, un peu gros
et coiffé d’une perruque blanche ?
S : Oui, c’est cela.
V : Je pense que tu as eu
affaire à Antoine-Christophe Gerle, que l’on connaît en général sous le nom de
dom Gerle. C’est un homme étrange et dangereux. Il a été compromis dans plusieurs
affaires de mysticisme. Il a présenté à l’Assemblée constituante une prophétesse
du nom de Suzanne Labrousse, mais les députés ne l’ont même pas écoutée.
Depuis, il a conservé une grande rancune envers la plupart des
révolutionnaires.
S : Si nous le
connaissons, nous pouvons le faire
Weitere Kostenlose Bücher